Inside PIE, sur les traces de Gladys et de Sarah
Le départ à la retraite ou sous d’autres cieux professionnels de deux salariées historiques de notre association offre à 3.14 l’opportunité de s’interroger sur la relation des salariés PIE à leur travail, et, au-delà, de se pencher sur la nature de notre structure, sur les particularités et l’originalité de fonctionnement de l’association, et donc sur son identité profonde.
Après 10 et 12 ans de ce que, sans nullement galvauder l’expression, nous qualifierons de “bons et loyaux services”, Gladys (ex-responsable de la région Sud) et Sarah (ex-directrice des programmes) ont donc quitté PIE. Leur départ est tout récent. Elles ont accepté toutes deux de se prêter au jeu de l’interview croisé. Maya, déléguée générale de l’association, s’invite également à cette mini-table ronde et intervient en tant qu’actrice majeure et mémoire de l’association.
L’occasion est offerte à 3.14 de saluer ici le travail accompli par nos deux protagonistes et de dévoiler —à ceux qui participent de près ou de loin à la vie de PIE (participants, familles et parents notamment)— un peu de l’envers du décor et de ce qui fait et nourrit le quotidien de l’associaiton.
En images : 1. Gladys et Sarah (photo : Flora chevalier) — 2. Gladys à son bureau d’Aix-en-Provence — 3. Sarah à son bureau d’Aix-en-Provence, avec Léa — 4. Pique-nique et partie de sumos organisés par Sarah — 5. Les “Urgences PIE” — 6. Sarah et Danielle au “Stage Départ” de PIE — 7. Gladys au “Stage Départ” de PIE — 8. “Sur le pont” : “Réunion annuelle des salariés” en Corse (2021)
L’EMBAUCHE,
LES DÉBUTS…
3.14 – Comment et dans quelles circonstances avez-vous “atterri” en tant que salariée à PIE ?
Sarah — “Atterri”, c’est le mot approprié. Nous sommes en 2012. J’avais fait un Master 2 de Français langue étrangère, je formais donc des professeurs à enseigner le français aux non francophones. Mon travail touchait directement à la langue, la culture, l’éducation. Je bossais à ce moment-là au Laos. J’avais besoin de rentrer quelques mois en France, à Marseille, pour des questions familiales, quand j’ai vu passer cette annonce (ou cet e-mail) me proposant un travail pour six mois à Aix : la proposition tombait du ciel !
3.14 – Tu étais restée en contact avec PIE depuis ton séjour en tant que participante ?
Sarah — Je suivais PIE de loin. Depuis mon retour des USA, je lisais régulièrement les 3.14 et tout aussi régulièrement, je me disais : “Je veux être bénévole, je veux être bénévole.” Tout ça m’intéressait donc et germait sûrement dans un coin de ma tête, mais j’avais un rythme un peu fou… c’était ma période étudiante, je travaillais en parallèle, je bougeais aussi… je n’avais donc jamais engagé aucune démarche pour contacter l’association.
3.14 – C’est donc PIE qui t’a contactée ?
Sarah — Oui. J’ai répondu à un e-mail ou une annonce (je ne sais plus très bien). J’ai eu un entretien au téléphone avec Laurent et Maya (à l’époque respectivement délégué général et directrice des programmes) et on s’est vite mis d’accord. Soit dit au passage, c’était un entretien très différent de tout ce que j’avais connu ! J’aurais dû commencer à bosser plus tôt, mais j’avais prévu de longue date un trek de 10 jours dans la jungle laotienne. Du coup, ils m’ont proposé de rejoindre l’équipe, à Paris, le premier jour du fameux ‘Stage Départ’ ! Un samedi matin de mai ou de juin, je débarque donc—au sens littéral du terme— de ma jungle… et de mon avion, avec mes 30 kilos de bagages. Ma valise est cassée, je suis poisseuse, tout ébouriffée, je n’ai pas d’habits à me mettre… C’est comme cela que j’atterris au FIAP et donc à PIE.
Maya — Nous n’avions plus de nouvelles de Sarah et, pour tout dire on avait un peu oublié qu’on l’attendait. Je me souviens qu’à un moment on s’est dit : “Mais la nouvelle au fait, tu crois qu’elle va venir ?” Mais il se trouve que Laurent avait vu passer “une fille qu’il ne connaissait pas avec une grosse valise” ! On était donc rassurés.
Sarah — Oui, j’étais totalement déconnectée. Au sens figuré, c’est sûr… mais au sens propre aussi car je n’avais pas de réseau et je n’avais pas répondu au dernier e-mail. En débarquant au FIAP, je vois d’un coup d’un seul dix mille personnes !… Je prends discrètement ma clé, je prends une douche… et sous la douche, j’entends quelqu’un qui frappe avec insistance et qui me dit :“T’es en retard, on t’attend à la réunion.” Voilà comment a commencé mon aventure de salariée à PIE !
3.14 – Et toi Gladys ?
Gladys — En 2010, ma fille Clémentine était partie une année aux États-Unis, On avait choisi PIE pour la proximité —puisque nous habitons la région— et parce qu’on avait été séduits par les premières rencontres. L’expérience avait été heureuse. Au retour de Clem, et pendant trois ou quatre ans, on a reçu le journal papier. C’est le seul contact que nous avions gardé.
À l’époque, j’étais directrice d’un magasin d’optique. La maison mère avait décidé de se débarrasser de quelques succursales, et m’a donc “gentiment” mise à la porte. J’ai pensé un moment à poursuivre dans mon secteur d’activité, mais j’ai finalement profité de l’occasion pour faire totalement autre chose… Je me suis lancée : formation DIF (Excel, Word) et au fil de rencontres et de tâtonnements, j’ai opté pour un BTS Management en une année… Je me suis retrouvée “en classe” avec quinze personnes, bien plus jeunes que moi. Les périodes de cours et de stages alternaient. J’ai fait un premier stage “mobilité internationale” en liaison avec l’éducation/formation au niveau européen et au moment de faire le second, c’est moi qui ai pensé à PIE.
3.14 – Comment le contact a t-il été établi ?
Gladys — J’ai envoyé un e-mail, je crois. Maya m’a répondu en me disant qu’a priori PIE n’avait besoin de personne, mais qu’elle réfléchissait. Deux jours après, elle m’a rappelée pour me proposer quelque chose de… selon elle…“pas forcément passionnant” : il s’agissait de retrouver la trace des anciens participants aux programmes, en vue de la création du “Réseau Pro”. J’étais OK : de toute façon, j’avais un stage à valider et l’idée de le faire à PIE me plaisait !
3.14 – Sarah, revenons à ton entretien, dit “d’embauche” : quel souvenir en gardes-tu ?
Sarah — Comme quelque chose qui n’avait pas grand-chose à voir avec un entretien d’embauche !
3.14 – En quoi différait-il des autres ?
Sarah — Avec Laurent, on a parlé du Laos et de son “frère” laotien. Avec Maya, on a parlé de mon année aux USA et de mon ressenti, Ni l’un ni l’autre ne m’ont posé les questions habituelles, du genre “lister mes qualités et mes défauts”, etc. Ils n’ont pas du tout mené un entretien comme on l’entend d’ordinaire : le truc à l’américaine où vous vous retrouvez un peu sur le grill. J’ai vraiment pensé : “Ceux-là, ils sont différents…” au sens de particuliers… un peu originaux.
Gladys — Personnellement, je n’ai même pas eu d’entretien d’embauche ! Ça s’est joué finalement sur un coup de fil !
3.14 – Que vous reste-t-il comme impression des premiers temps à PIE ?
Sarah — Passé l’épisode plutôt épique de l’arrivée, le stage me laisse une impression incroyable ! Je n’avais pour ainsi dire aucun souvenir de mon propre stage —en tant que participante—, mais là je suis plongée d’emblée dans une ambiance un peu folle et très motivante. Il y en a dans tous les sens…. c’est sympa et en même temps ça roule. Je suis impressionnée par le mélange d’énergie et d’organisation.
3.14 – Un fait précis pour décrire cette ambiance ?
Sarah — Le brunch… Au terme du stage, on se retrouve pour manger. Je pensais qu’on allait me poser des questions en me testant plus ou moins… et me voilà prise dans une discussion entre les trois frères, Laurent, Louis et Xavier, qui parlent de ruches, de miel et d’abeilles. Ça argumente, ça gueule et ça rigole. Me voilà à donner mon avis sur le sujet alors que je n’y connais rien (NDLR : les trois frères non plus !). En gros, je m’attendais à un truc sérieux et c’est totalement farfelu. J’adore. Je me dis : “Ça va être génial !”
Gladys — Le premier jour au bureau d’Aix, j’ai rencontré Julie avec qui je travaillais, et puis le reste de l’équipe. Plus tard, dans la journée, j’ai croisé Laurent, délégué général à l’époque. Ma présence semblait naturelle. Plus tard, il a dit à Patrick, mon mari : “J’ai été surpris de l’âge de Gladys, parce qu’en général on embauche et on ne prend en stage que des jeunes… et plutôt des anciens participants.” Mais il ajouté : “Au final, on n’a pas regretté !”
3.14 – Quelle était ton impression au soir du premier jour ?
Gladys — Celle d’être en vacances ! Une atmosphère paisible, tranquille, avec des gens bienveillants les uns envers les autres.
Maya — Pourtant, je me souviens que Gladys était coincée dans un tout petit bureau entre le mur et la photocopieuse.
Gladys — Cela n’a rien changé à mon ressenti général. Je donnais mes coups de fil sans aucune pression liée aux résultats. Durant ce stage, j’ai pu établir des contacts intéressants avec les anciens et retrouver des traces. En parallèle, j’ai effectué des petites tâches pour aider l’équipe : faire des transcripts, relire des dossiers de candidats, etc.
LE PASSAGE DE 6 SEMAINES OU DE
6 MOIS À 10 OU 12 ANS…
3.14 – Sarah, dans quel état d’esprit, abordais-tu cette première période de travail ?
Sarah — Au départ, je suis donc là pour 6 mois. Pour être honnête, je me dis que je vais faire un boulot administratif qui ne va pas me passionner. Pour parler franchement, je me dis que ça va être “chiant” —parce que l’administratif c’est pas mon truc—, mais en même temps, que ça va être “cool”, parce que c’est PIE !
Le premier jour à Aix —au retour du stage— j’ai un peu déchanté : les filles étaient ultra sérieuses, toutes penchées sur leur tâches, en silence. Et y’avait que des femmes. Là je me dis : “Dur, dur, c’est pas fait pour toi, ce truc !” Mais à vrai dire, c’est vite devenu hyper sympa, même génial. en fait, les filles étaient cools, et ce qu’on appelait l’administratif consistait à lire les dossiers, à éplucher les présentations et les lettres des gamins… De “l’administratif humain” en fait !… C’était assez merveilleux. Ce qui m’a tout de suite séduite, c’est que derrière le boulot structuré et assez chronophage, il y avait quelque chose de décontracté, lié à la structure et aux relations.
3.14 – Si on fait un grand saut dans le temps, qu’est-ce qui explique ce passage de 6 mois à 12 ans ?
Sarah — C’est une vraie question !… car dans ma tête, ce n’est pas du tout ce qui était prévu à l’origine. Au départ, j’avais vraiment projeté de repartir au Laos. Il y a eu un concours de circonstances : d’un côté, un problème personnel, qui m’a amenée à rester plus longtemps en France et, de l’autre, le travail de proximité avec les bénévoles, les familles que j’avais beaucoup apprécié.
Maya — J’ajoute —si on regarde du côté PIE— qu’au départ Sarah est arrivée pour assurer la période tampon entre le départ de Lena et l’arrivée de Julie. Mais, quelque temps après son arrivée, nous avons appris la grossesse de Julie. C’est ce qui explique qu’on lui ait proposé une prolongation… mais encore une fois sur une durée déterminée.
Sarah — Oui, la prolongation s’est faite pas à pas. Il se trouve que quelque temps plus tard, le poste de Paris s’est libéré… J’en avais entendu parler. Je m’étais dit : “Tiens, ça pourrait me convenir !”. Ça a trotté dans ma tête, et un jour que je marchais avec Maya, j’ai évoqué le sujet en lui disant que ça me plairait vraiment. Et voilà comment, à l’automne 2013, j’ai prolongé sur la base de deux années supplémentaires, mais sur le bureau de Paris cette fois.
3.14 – Tu restes finalement trois ans à Paris et, dans la foulée, tu prends une année sabbatique ?
Sarah — Non, ce n’est pas exactement ça. L’idée à ce moment-là, n’est pas de prendre une année off. Mon idée c’est de démissionner pour voyager un an. Mais on me dit : “Ah non, ne démissionne pas, fais un break et quand tu reviens tu reprends un autre poste.” J’ai retenu la proposition, car elle était super alléchante. Je suis partie faire mon tour du monde, et au retour, j’ai repris la région Sud… et, en bonus, le programme Campus ! J’ai passé trois ans à Lyon… On m’a proposé ensuite le poste de “Directrice des programmes” à Aix. J’ai tiqué, car j’étais surprise et parce que je ne voulais pas quitter Lyon… mais, au final, j’ai quand même accepté le poste. Voilà, en résumé, comment je suis passée de 6 mois à 1 an, puis 4, puis 12 ou 13 !
3.14 – Et toi Gladys, comment es-tu passée de 6 semaines à 10 ans ?
Gladys — Arrivée au terme des six semaines de stage, Julie me dit : “Maya voudrait te parler”. PIE venait d’apprendre la seconde grossesse de Julie ; et Maya de me demander de but en blanc, si je voulais travailler à PIE. J’ai répondu : “Pourquoi pas ?” Le boulot et l’ambiance me convenaient tout à fait ; j’avais un complément de salaire lié à mon statut, et PIE était OK pour que j’aille au terme de mon BTS… donc tout collait bien. J’en ai parlé à mon mari, mais ma décision était prise.
3.14 – Un stage de 6 semaines qui va finalement t’emmener jusqu’à la retraite ?
Gladys — Oui, exactement. Ah, je reviens sur un détail : je me souviens qu’à la fin de ma première période de stage, PIE m’avait offert un petit cadeau. Je ne sais plus exactement quoi— une étole je crois— mais je sais que le geste m’avait touchée. Toutes les boîtes ne font pas ça, loin de là !
3.14 – Si pour toi, Gladys, le parcours à PIE semble linéaire, on a senti chez toi, Sarah, durant ces années, comme une oscillation entre le “je pars” et/ou “je reste” ? Comme un petit conflit intérieur ? Si oui de quoi se nourrit ce conflit ?
Sarah — En tant que “Responsable de régions” j’avais un contact direct et permanent avec les jeunes, les familles. J’étais donc à ma place, très à l’aise. En devenant “Directrice des programmes”, j’ai un peu perdu ce contact et cela m’a beaucoup manqué. À partir de là, une part de moi, liée à mon attachement à PIE voulait rester et une part de moi aspirait à quitter. Mais à chaque fois que je voulais partir, on me proposait exactement ce qu’il fallait pour que je ne puisse pas dire non (Paris, le programme Campus, le bureau de Lyon, une “promotion”, etc.) ! À chaque fois, y’avait cette carotte qui me faisait prolonger… un petit peu. Et de petits “peu” en petits “peu”, je suis restée… 12 ans.
L’IDENTITÉ PIE
3.14 – Vous avez pratiqué —je dirais même côtoyé— PIE toute une décennie. Qu’est-ce qui vous a le plus surpris dans le mode de fonctionnement de l’association ?
Sarah — Ce mélange très particulier, qui pourrait apparaître comme totalement contradictoire, entre la flexibilité et l’organisation ? Tout est très structuré, carré, précis… comme j’adore, et en même temps, on est toujours prêts à changer, à refaire les choses différemment. S’il y a un cadre, il est souple. On ne se dit jamais : “C’est comme ça et pas autrement”, mais plutôt : “On a fait comme ça dix fois, mais pourquoi, cette fois-ci, ne pas faire autrement ?” On est prêts non seulement à changer d’avis, mais de point de vue aussi, et donc à restructurer…. et ça marche très bien ! J’ai vraiment autant adoré la rigueur d’organisation que cette forme de souplesse qui vous laisse, en tant que salarié, un espace de liberté, pour évoluer et faire évoluer les choses différemment. Et j’ai aimé par-dessus tout cette contradiction apparente.
Gladys — Je retiens personnellement deux choses : d’abord, et pour rejoindre Sarah, le fait que rien n’est gravé dans le marbre à PIE et aussi l’entraide dans la recherche de solutions. À PIE, on ne stigmatise jamais les gens. Non, au contraire, on se soutient.
3.14 – Quel est le point noir de PIE pour un salarié ?
Sarah — Le fait de ne jamais déconnecter. C’est une activité prenante qui fait invariablement partie de notre quotidien et qui l’envahit : tu penses aux jeunes, tout le temps… tu es avec eux, sans cesse sur le qui-vive. Et qu’on le veuille ou non, sans que ce soit négatif, c’est impactant dans la vie. On rentre avec eux le soir, on en rêve la nuit…
Maya — Tu parles là de la responsabilité des adolescents ?
Sarah — Oui exactement. On ne peut pas ne pas y penser. On a une soirée de prévue, on la fait, mais les jeunes restent présents dans un coin de notre tête. Sans même parler des situations d’urgence. J’enviais parfois mes amis qui sortent du travail à 17h et qui, pour caricaturer, ne savent même plus en quoi consiste leur travail !
Gladys, tu ressens ou ressentais, toi aussi, cet état de veille permanente ?
Gladys — Absolument. On ne décroche jamais vraiment. Même à mon niveau. Et c’est sans doute dû aussi à ce principe d’entraide permanente… et beaucoup aussi à nos caractères.
Maya — …et à l’activité aussi. Je parlais, la semaine dernière encore, avec une amie qui revenait de vacances et qui découvrait, dans sa boite e-mails, 450 messages non traités par elle ou par ses collègues ! Pour nous, c’est juste impossible. Il y des jeunes derrière ! On ne peut pas laisser les choses en plan. Mais là où on se rejoint avec Gladys, c’est qu’il faut avoir un certain type de caractère pour accepter cela.
Gladys — C’est vrai. C’est pour ça que, personnellement, ça ne m’a jamais pesé ! Bizarrement, si on a toujours PIE dans la tête, on ne ressent jamais de pression négative : pression du résultat (donc pression commerciale), pression liée à un échec. Tout à PIE est géré collectivement. On en revient à cet esprit de corps dont je parlais à l’instant.
Sarah — Par rapport à cette pression, c’est plutôt le regard des autres qui, en revanche, me pesait : “Tu es folle. On est en train de dîner et tu check encore tes e-mails. Mais c’est quoi cette boîte pour laquelle tu bosses ?”
Bonne question : c’est quoi cette boîte ? Comment définiriez-vous l’entité PIE ?
Sarah — Une des particularités à PIE, pour reprendre les mots de Gladys, c’est de ne pas avoir d’objectifs chiffrés. En cela d’ailleurs, PIE est une vraie association. Il y a des objectifs, mais pas de course aux résultats. Tout aujourd’hui, dans et hors monde du travail, se traduit en termes de chiffres, d’optimisation, etc. Quand je dis “tout”, je pense à quasiment tout le monde autour de moi… et même au-delà ! Et ce n’est vraiment pas le cas à PIE.
Maya — Quand on affiche ou énonce des données chiffrées, c’est plus pour avoir un outil de compréhension, de prévision et de projection, pour avoir par exemple une cartographie des tendances. On essaie, en effet et autant que possible, d’éviter toute compétition et toute comparaison.
Sarah — Ce qui ne veut pas dire qu’on ne se soucie pas du fait que ça tourne : on doit recruter des candidats, trouver des familles d’accueil aux jeunes étrangers, etc. On a clairement des objectifs et, à ce niveau, il y a une certaine émulation, mais à aucun moment, on ne se dit :“Si je ne place pas trente jeunes, je vais avoir un problème !” En tout cas, personnellement, je ne me le suis jamais dit.
Gladys — C’est le côté humain des choses que l’on a toujours en tête…
Maya — …Oui, on sait tous qu’un visa refusé, c’est un gamin qui ne part pas, un rêve qui s’écroule plus ou moins, de la tristesse, etc., et une forme d’empathie. Toute l’équipe a ça en tête.
Selon vous, PIE, en tant que structure, se rapproche plus d’une entreprise, d’une association, d’une famille… ?
Sarah — C’est clairement une association, mais dans l’esprit ça se rapproche assez de la famille, ne serait-ce que par l’attachement.
Gladys — C’est vrai que l’on n’est pas loin de la famille !
Sarah — Certains proches s’étonnent parfois, car quand quelqu’un veut venir travailler, on dit : “Tu sais il faut être parti avec PIE, etc.” Alors, ils se disent : “C’est quoi cette secte” (rires) ?
Maya — Pour rebondir sur l’idée de famille, je prends en exemple la gestion de la crise Covid. Il me semble que durant cette période, particulièrement tendue et pleine d’inconnues, l’unité du groupe a fait merveille, en dépit pourtant de l’éclatement et de la distance. Il y a eu beaucoup d’hésitations, de discussions en interne, de virages et de revirements, mais, malgré les divergences, l’équipe a fait preuve d’osmose.
Gladys — Oui, ça touche à cet esprit de famille. Tout le monde était impliqué, on changeait de bord en permanence (un jour ceci, un autre cela), mais on gardait un cap.
Sarah — C’est à ce moment que j’ai réalisé l’importance que PIE avait pour moi ! J’ai été vraiment malade et, malgré cela, il y avait des impératifs PIE qui l’emportaient : les gamins qui devaient rentrer, un transfert à assurer, un retour de Nouvelle-Zélande, etc. Là encore, on peut faire un lien avec la famille. PIE, du fait de l’activité et de l’ambiance, finit par devenir, dans notre vie, une forme de priorité.
Gladys — C’est valable également au niveau des relations. Ça dépasse le concept de “collègues”…
Sarah — Comme si, naturellement, on se devait et on s’apportait une forme de soutien. Si tu fais une erreur, une bêtise, un faux pas, etc., tu sais qu’en interne on ne va pas te lâcher.
“Vivre en famille”, c’est décidément un peu l’alpha et l’oméga à PIE ! Si on pousse la comparaison, on se pose la question de savoir si, dans cette famille, il y a des parents… ?
Sarah — Oui forcément. On peut penser à Maya et Laurent… Ils rassurent… un peu comme le font des parents… et on les a un peu en “référents”. Il arrive qu’on se demande comment, dans telle ou telle situation, ils auraient réagi… ou des choses comme ça. Mais ça s’arrête là !
3.14 – Un fait m’a frappé : très peu de salariés à PIE ont des enfants (NDLR : à l’heure actuelle seulement 2 salariés sur 11 en ont !) Est-ce que vous voyez un lien avec le fait que PIE est, à sa façon, une famille… donc leur famille ?
Sarah — (Rires). Si je cherche une explication, je dirais plutôt que cela tient aux contraintes dont nous avons parlé et qui touchent à une indispensable disponibilité, sinon en termes de temps du moins en termes d’attention. On s’occupe d’ados toute la journée, toute la semaine et toute l’année quand même. Si en plus on a des enfants, ça peut faire beaucoup au niveau de l’énergie, non ? Mais on va peut-être un peu loin.
Maya — Peut-être que le fait de ne pas être parent permet paradoxalement d’être plus tolérant envers les enfants des autres.
Sarah — Je ne sais pas. En tout cas, de ne pas être parent ne nous aide pas toujours : quand on gère un conflit difficile, il y a toujours un moment où la question : “Mais vous avez un enfant, vous ?” tombe. Et si on répond : “Non”, on perd alors toute crédibilité… c’est tellement stupide et tellement à côté du sujet, que personnellement, je fais en sorte d’éluder cette question.
TEMPS FORTS & TEMPS FAIBLES
3.14 – Quel moment heureux de votre vie à PIE avez-vous envie de raconter ?
Sarah — Je pense à un pique-nique que j’avais organisé à Lyon, dans un parc, pour fêter le retour des participants. Y’avait tout un tas de monde : plein de bénévoles, de jeunes, de parents. Tout le monde se mélangeait alors que la plupart des gens ne se connaissaient même pas ; on jouait (j’avais loué des sumos). Tout se passait hyper bien. Pour moi, ce pique-nique reste l’incarnation de ce qu’il y de mieux à PIE. Le summum !
Gladys — De mon côté, j’ai en mémoire les réunions de salariés et notamment cette soirée en Corse qu’on a immortalisée en photo. Toute l’équipe est sur un ponton. Y’a tout qui va bien : le ciel, la mer, la lumière. On est tous beaux. Un symbole d’unité.
Sarah — Je pense aussi au “Stage Départ” : un moment typiquement PIE. Une facette ultra organisée et ultra cadrée (avec le ballet de l’arrivée —ses 250 participants, ses 300 parents et ses 50 bénévoles— avec ses réunions, ses plannings serrés, ses règles de vie et de fonctionnement très stricts), et une facette déjantée (le talent show, la mascotte, le côté libre et un peu… comment dire… n’importe quoi !).
Maya — Cet espace-temps créatif est très important. Peu importe la qualité du spectacle offert au final par les participants, ce qui compte c’est le fait de faire et qu’ils aient cet espace de respiration, sans quasiment de contraintes, d’instructions… et de jugement. Cette carte blanche offerte aux jeunes est une signature PIE.
3.14 – Et quel moment est moins heureux ?
Gladys — Je garde un souvenir pénible des six mois qui ont suivi mon accident (fracture du poignet). C’était plus lié à mon état général. J’avais l’impression d’avoir mis tout le monde dans la mouise. C’est vrai, j’étais là sans y être : les choses traînaient, les dossiers n’avançaient pas.
Maya — J’ai été obligée de dire à Gladys de décrocher un peu. Son corps parlait et elle n’écoutait pas.
Sarah — Un souvenir pénible ?… Les réunions internationales. Ces grosses réunions qui nous éloignent, je trouve, de notre action et de nos objectifs, l’argent dépensé aussi. Ça a beau être indispensable pour le réseau, cela nous éloigne de nos valeurs et renvoie à des choses que je n’aime pas et qui ne correspondent pas à ce pour quoi je suis/j’étais à PIE. Cela m’est arrivé d’être dans la salle et de me demander ce que je faisais là. Et puis ça ronronne : on est donc très loin de ce qui est une des forces à PIE et qui consiste à savoir se remettre en question… et à résoudre les problèmes. Et on est plus loin encore de ce pique-nique dont je vous ai parlé plus haut.
3.14 – Parlons de ce que, dans le jargon PIE, nous appelons le “counseling” autrement dit, la gestion des problèmes —en général relationnels, entre un jeune et sa famille d’accueil— et des urgences. C’est une chose compliquée que le “counseling” dans la mesure où cela se rapproche de la gestion de conflit et où cela fait intervenir de nombreux protagonistes (enfants, parents, PIE et organismes partenaires, écoles, assurances, médecins, compagnies aériennes, etc.). Sarah, tu es peut-être la seule à PIE à avoir aimé faire des “counselings” ?
Sarah — J’adore ! Et les plus ardus des “counselings” sont, selon moi, souvent les plus prenants et les plus intéressants !
Maya — C’est sans doute la partie du travail qui rebute le plus les salariés et les bénévoles de l’association. d’autant qu’on ne maîtrise pas son temps d’intervention. Il faut faire preuve de patience.
3.14 – D’où te vient cette passion, Sarah ?
Sarah — L’idée est quand même de faire face à une situation quasi inextricable et de trouver une solution. Le tout en passant uniquement par le dialogue. Je ne comprends même pas comment on peut ne pas aimer ça ! C’est 100% positif. Quand un “counseling” se résout, c’est une vraie victoire !
Gladys — En soit, ça ne me déplait pas non plus tant que ça. Le plus délicat et le plus contraignant à ce niveau, c’est quand on tourne en rond et que l’on n’aboutit à rien. Le problème, c’est que c’est très chronophage !
Sarah — Mais pour moi ça débouche toujours sur quelque chose… même si c’est un renvoi et même si les parents restent hostiles à la décision de PIE, car on a avancé dans la gestion d’un conflit, et on a trouvé une voie de sortie !
Maya — J’ai noté sur ce sujet qu’un changement marquant s’opère depuis quelques années dans la relation des parents à l’association. Ces derniers sont plus consommateurs qu’auparavant —au sens où ils estiment que PIE leur est redevable d’un service —pour lequel ils disent avoir “payé”— et au sens aussi où les parents ont de plus en plus tendance à perdre une forme lucidité face à certaines attitudes de leurs enfants et à la façon d’y remédier ? Est-ce que vous ressentez de votre côté ce double changement ?
Sarah — Oui, sur une seule décennie, j’ai senti ce changement, surtout dans le rapport à la consommation. C’est dommage car ça va à l’encontre de l’esprit associatif. Nous ne sommes pas fournisseur de service. Mais ça ne m’empêche pas de continuer à aimer les “counselings”. Il faut juste intégrer ce paramètre et l’intégrer à la discussion en rappelant le sens de notre action.
DÉCALAGE ENTRE NOTRE MISSION & NOTRE ACTION
3.14 – Notre activité à PIE consiste à “envoyer” des jeunes vivre sur la longue durée à l’étranger. Mais en quoi consiste concrètement et quotidiennement notre travail ?
Sarah — Ah, ah ! C’est intéressant. Quand je dis aux gens dans quel organisme je travaille, ils m’imaginent tous en train de voyager.
Maya — C’est très juste. Mes amis pensent que je passe mon temps dans les aéroports, les avions, l’Eurostar, etc., à accompagner des jeunes.
Gladys — Je crois que ce qu’on fait est très flou dans la tête des gens. D’autant que la plupart d’entre eux ne comprennent déjà pas trop le concept de nos séjours.
Sarah — Et je crois que même nos participants et leurs parents n’ont pas idée de la variété de tâches et du travail qui se fait en amont d’un départ…
3.14 – Par exemple ?
Sarah — Le travail de réseau, de formation et d’encadrement des bénévoles, la complexité administrative. On fait tout de A à Z, de la communication/information (pour recruter les candidats) à la gestion des dossiers, depuis la préparation jusqu’au départ (avec la mise en place des entretiens, les stages d’orientation, les transports, l’information et le suivi visa…), avec la question des assurances et les questions contractuelles, celle des placements, de la gestion des difficultés pendant l’année… et les échanges avec les parents, etc. Le tout avec une petite équipe. On a donc des tâches très diverses. On switche en permanence,
Gladys — Je pense que la majorité des parents et des participants n’ont pas idée de la quantité de travail que demande chaque inscription. La chose apparaît clairement quand ils vous parlent du coût d’un séjour. Ils disent, et c’est en partie compréhensible : “Mais où va tout cet argent ?”
Sarah — Je pense que les gens imaginent un peu le travail administratif sur leur dossier, mais pas au-delà. Ils n’ont aucune conscience du travail de réseau en France et avec plus de vingt partenaires à l’étranger pour que les programmes puissent exister, pour mettre en place les “process”, pour placer les participants à l’école et en famille, pour gérer les difficultés relationnelles qui surviennent pendant l’année ainsi que les questions se rapportant aux crises internationales et aux changements politiques et administratifs qu’ils induisent…
3.14 – À ce propos, parlons des “Urgences”. Nous n’avons pas évoqué ces 6 semaines annuelles dites “d’astreinte”, qui consistent à avoir, 24h sur 24, le téléphone des urgences, pour répondre et faire face aux situations critiques (maladie, accidents, problèmes graves de nature familiale ou autre…) ? Les parents et les participants n’y pensent pas forcément, alors que ces semaines d’astreinte sont visiblement particulièrement pesantes pour l’équipe.
Maya — Je sais que c’est une cause de stress pour beaucoup de salariés. J’en parle maintenant systématiquement à l’embauche, et je fais en sorte qu’on en parle, car j’ai conscience que cela pèse pour certains.
Sarah — J’ai des amies qui ont quitté PIE aujourd’hui et qui me parlent encore du téléphone des urgences comme d’un vrai traumatisme : “Qu’est-ce qui va arriver ? Comment je vais faire pour affronter la situation ?” Mais, personnellement, ce n’est pas mon cas. Comme, quelque part —comme je le disais tout à l’heure— j’ai tout le temps le travail en tête, “Astreinte” ou non, ça ne change pas grand-chose. Je suis de toute façon tout le temps un peu sur le qui-vive.
Gladys — Oui on gère toute l’année des difficultés. C’est rare qu’elles soient de nature différente la nuit ou le week-end. Pour moi, c’est plus une continuité du boulot.
Maya — .Je crois que tous ceux qui s’occupent directement du programme High School sont habitués à gérer de “vrais” problèmes tout au long de l’année. Ils le font en permanence, et vu la relativité de la notion d’urgence —en fonction de la réaction des uns et des autres (familles, participants et même bénévoles)— tout problème qui survient dans le cadre du travail relève quelque part de l’urgence.
Sarah — Pour moi le plus stressant, c’est la crainte de ne plus avoir de batterie, de ne pas entendre sonner le téléphone, donc de rater un appel important !
PIE & MOI
3.14 – Tu as commencé l’entretien, Sarah, en décrivant PIE comme un organisme à la fois rigoureux et souple, voire surprenant. On est en droit de se demander si finalement PIE ne te ressemble pas, dans le sens où tu fais preuve de rigueur totale dans l’organisation et le respect des règles et des process alors que tu es plutôt souple par ailleurs ?
Sarah — Oui peut-être. Vous voyez mon côté rigoureux car je mets toute mon énergie dans la rigueur au travail. Mais à côté du boulot, je suis tout… sauf rigoureuse.
3.14 – Mais la souplesse transpire aussi dans tes relations et dans le contact direct avec les bénévoles, et les jeunes, et même dans la gestion des “counselings”.
Sarah — Oui, c’est vrai qu’au niveau de la gestion des conflits, on doit jouer un peu sur les deux cordes. donc je dois être un peu les deux. Mais au niveau du quotidien et des relations humaines au travail, ça m’est très difficile de devoir diriger les gens.
3.14 – Oui, on peut se demander quand même si ton départ n’est pas dû à cette lutte qu’au nom de la rigueur, tu devais, à ton nouveau poste, mener contre ta nature plus souple ou même plus excentrique ?
Sarah — Oui, le poste implique de la rigueur. Je pense m’être posé un cadre qui va au-delà de ma nature profonde. J’ai essayé d’être plus manager que je ne dois l’être vraiment, avec, en tête, sans doute le modèle de Maya (genre : “Pour ce poste, il faut être comme ci, et comme ça !”). C’était ma seule référence. De ce fait, sur certains aspects du poste, je n’étais pas vraiment à ma place. Cette fonction qui était en soi une promotion, m’a donc un peu dévalorisée, au sens où elle m’a fait douter de moi.
3.14 – Alors que dans les faits, tu la remplissais très bien !
Sarah — En soi, il n’y avait pas de problème, parce que j’ai toujours été soutenue et parce que je me suis toujours amusée. Parce que chaque matin, j’étais contente de me lever en pensant que j’allais travailler pour et avec PIE. Mais, je n’étais pas moi.
Maya — J’ai personnellement été totalement surprise par le fait que Sarah ne soit pas à son aise dans cette fonction. Ce n’est pas que je ne l’ai pas compris, c’est que je ne m’attendais pas à ce que cela lui pose un problème. Mais c’est vrai qu’il y a souvent un décalage, entre ce qu’on imagine d’une fonction et le vécu de la fonction. J’ai moi-même, au départ, eu un peu de mal à ce niveau en reprenant le poste de délégué général. Au début, je ne trouvais pas ça drôle du tout.
3.14 – Gladys, tu nous as de ton côté, étonnés par ta patience à toute épreuve, pour informer, écouter surtout, par ta capacité à ne jamais sortir de tes gonds !
Gladys — Le lien de confiance est la base de tout. Je crois être naturellement patiente : j’aime écouter, rassurer, prendre le temps qu’il faut pour répondre à toutes les questions. C’est quelque chose que je fais avec plaisir. En tant que parent moi-même, je comprends l’angoisse que peut représenter le fait d’envoyer son enfant à l’étranger. Ce n’est jamais anodin, parfois même très difficile. Alors j’essaie d’être ce petit repère rassurant.
3.14 – Maya, même si Gladys et Sarah ne sont pas “aux antipodes”, on réalise en les interviewant qu’un manager se doit d’intégrer et d’interagir avec des caractères très différents ?
Maya — Quand on embauche quelqu’un, on ne le connaît pas vraiment… et même si on devait faire 4 heures d’interview, cela ne changerait pas grand chose à l’affaire. J’ai appris de Laurent (ancien délégué général) qu’il fallait faire confiance à son instinct… et faire confiance tout court à la personne. Car, si on peut amener une personne à évoluer sur de petites choses (en termes de rigueur et d’adaptation à la structure), sur le caractère profond, on ne le change pas. Le boulot donc consiste ensuite et principalement à s’adapter à chacun (à son ressenti, à ses forces, ses faiblesses) et à faire en sorte que l’ensemble de l’équipe fonctionne. Après il y a des contraintes propres à chaque boulot ou chaque poste qui fait que ça peut ne pas fonctionner. À PIE, cela touche à cette implication nécessaire dont Gladys et Sarah ont parlé. Si on ne supporte pas cela, alors travailler à PIE ne devient plus supportable.
Gladys — Je sais qu’en août, si je recevais le placement d’un jeune un samedi, je n’attendais pas le lundi pour l’envoyer, car j’avais conscience qu’un jeune participant rongeait son frein.
Maya — Oui, c’est un bon exemple. C’est ce petit plus au niveau de l’investissement qu’exige quasiment notre activité et qui distingue notre association.
Sarah — Je me souviens Gladys d’une famille qui t’avait offert des chocolats parce que tu lui avais répondu à une heure du matin.
PIE À l’AVENIR
3.14 – Qu’est-ce qui a le plus changé à PIE depuis votre arrivée ? Quelles ont été les évolutions majeures ?
Sarah — On s’est beaucoup structuré. C’est beaucoup lié à la technique, aux outils et aussi à l’organisation générale.
Gladys — On a bien entendu vécu le passage du papier au tout e-mail, et dernièrement à l’abandon des dossiers papiers. Le changement de base de données a été un virage majeur également.
Sarah — Oui, on s’est modernisés et on a gagné en efficacité, en termes de temps de travail avant tout. Ça va des changements majeurs dont parle Gladys, à de simples modifications des outils de travail (le casque, le portable, etc.), lesquels ont pu induire aussi de vrais changements (travail à distance, etc.). On s’est également adaptés à l’époque, avec les gazettes numériques, plus de vidéos et d’images.
3.14 – Quelque chose de négatif dans cette évolution… comme une subdivision accrue des tâches par exemple ?
Sarah — Non. Parfois tous ces outils génèrent plus de travail, plus d’e-mails, etc., mais de toute façon cette évolution était indispensable et globalement ça nous a donné de l’autonomie.
Gladys — Au niveau de la communication, il y a quelque chose de plus carré… dans le sens ou avant c’était moins formel. Auparavant avec Laurent (ancien délégué général), ça pouvait se faire un peu au hasard, au détour d’un couloir. Aujourd’hui, c’est plus cadré.
Maya — Paradoxalement, la nouvelle base de données (dont nous n’utilisons pas, loin s’en faut au vu du champ des possibles, tout le potentiel, et par rapport à laquelle nous sommes encore dans la phase de mise en place) nous a permis de multiplier les passerelles entre les uns et les autres, et donc d’harmoniser notre travail. J’avais le souci que tout le monde reçoive l’information et soit donc plus autonome. Cela a permis également d’harmoniser la relation au niveau de la vie des bureaux. Les régions sont beaucoup moins isolées. J’ai tenu par ailleurs à mettre en place, pour PIE et les salariés, des process en adéquation avec les règles administratives. Je ne sais pas si vous l’avez ressenti ?
Sarah — Oui. Ça m’a rassurée. C’est mon côté : “J’aime bien que les choses soient faites dans les clous !”
3.14 – Le télétravail a-t-il perturbé l’équilibre et les relations ?
Sarah — Le nouveau système de téléphonie, qui nous permet de travailler pleinement à distance, nous a apporté beaucoup de liberté dans le travail et d’équilibre pro/perso, car on pouvait avancer dans nos tâches en dehors du bureau. Ce système, qui est arrivé qui plus est en même temps que le développement du télétravail, nous permet de préserver un contact quasi permanent entre nous.
Maya — Je ne suis pas sûre que le télétravail ait perturbé la vie de groupe, car parallèlement quelque part cela nous permet aussi de travailler plus tranquillement sur nos tâches précises, sans être sur-sollicité ou accaparé par la vie de bureau. On avance différemment en fait.
3.14 – Qu’est-ce que PIE doit veiller à préserver à l’avenir ?
Sarah — Cette question nous ramène au point de départ. Je dirais : ce pour quoi je suis venue… et pour quoi je suis restée. À part dans le monde de la plongée sous-marine —que j’ai côtoyé un certain temps, où il y avait un peu de ce mélange d’indispensable rigueur (liée au fait qu’on avait la vie des gens en jeu) et de savoir vivre et de savoir s’amuser—, dans tous les boulots que j’ai faits précédemment, tout était toujours tracé, cadré. On ne pouvait pas dévier d’un iota. Ce n’était pas très fun. Il faut garder cette indépendance au niveau de la prise de décision, cette liberté de changer et de surprendre.
Gladys — Quand je travaillais dans le milieu des opticiens, tout était très cloisonné et très orienté par le siège. Il n’y avait pas beaucoup de place pour l’improvisation. Et plus on a avancé dans le temps, plus les choses se sont uniformisées. Dans notre boutique de province, on n’avait plus aucune initiative et plus le droit à la parole ! Le contraire de ce qui se passe à PIE. Écouter tout le monde ! Ça, il faut le préserver… de même que les moments de partage et de vie commune (les repas, les petits événements).
Sarah — Il faut aussi que PIE laisse sa chance aux jeunes, aux stagiaires, que l’on continue de leur dire : “Qu’est-ce que tu en penses ? tu n’as pas une idée ?” Il faut se nourrir des propositions de l’extérieur.
Gladys — Préservons aussi et surtout l’environnement ; les beaux bureaux, le matériel de qualité, l’ambiance qui est bonne… À ce niveau-là, on évolue dans un cadre et un confort exceptionnels.
3.14 – Quelle menace, s’il y en a une, pèse sur PIE ?
Gladys — PIE est né il y a 45 ans. À part une grosse crise de dimension internationale (style guerre ou autre), je ne vois pas de grande menace. Plus on va avancer plus les gens au contraire se tourneront vers des structures comme la nôtre.
Sarah — La menace ?… La perte du contact direct, la dislocation de la vie de régions, des rencontres avec les bénévoles, des rencontres tout court… La perte de lien en fait.
3.14 – N’est-ce pas plutôt un fait de société, qu’une donnée propre à PIE ? Quand on marche dans la rue avec un portable dans la main, on a moins besoin du contact avec les autres passants, on recherche forcément moins ce contact et on finit même par ne plus le ressentir ?
Sarah — C’est sûr. Je perçois bien que dans la nouvelle génération PIE, le lien direct apparaît moins un besoin qu’auparavant. Mais, à PIE, il faut être vigilant à ce niveau, car c’est à la base de notre action. On doit entretenir cela. Je reviens à ce propos sur le “stage Départ” : c’est un moment de vie crucial… voir les gamins, les familles, les bénévoles, c’est essentiel… La concrétisation en quelque sorte de tout notre travail. J’ai toujours aimé le stage pour cela. On pourrait décider de s’en passer. Or, il faut préserver à tout prix ce genre de choses.
Maya — Oui, le risque est de ne plus faire de toutes ces missions de contact des priorités. Il faut veiller au maintien de l’engagement de tous les acteurs PIE, à commencer par les bénévoles. Nous avons une part de responsabilité à ce niveau.
3.14 – Si vous pouviez emporter quelque chose de PIE, qu’est-ce que ce serait ?
Sarah — Une idée : celle de ne pas se mettre de limites… au sens de : “Ne pas se contenter de ce que l’on a !” J’ai vu qu’on pouvait changer, voire même tout remettre en question, dans le seul but d’améliorer les choses.
Gladys — La bienveillance. Celle que j’ai ressentie le premier jour.
MON AVENIR
3.14 – Quels sont vos projets professionnels ?
Gladys — Je suis à la retraite (NDLR : depuis un mois !) donc, par la force des choses, je n’ai pas réellement de projet professionnel. Mais je me sens toujours bien à PIE, et je ressens toujours cette bienveillance des premiers jours, alors je me vois bien faire des petites missions.
Sarah — Je ne pars pas de PIE parce que j’en ai marre des “counselings” —ça je veux que ce soit clair—, mais je sens que je suis dans une phase de ma vie où j’ai besoin de nature. J’aimerais “sortir”, du bureau, échapper au téléphone, etc., faire un truc qui serve la planète. J’ai conscience de ce que je perds en partant et qui n’existe que dans peu de boîtes et qui explique que je sois restée si longtemps, mais je veux tenter autre chose.
Maya — Merci… pour tout, notamment pour ce grand plaisir que j’ai eu à travailler avec vous deux… et merci, peut-être avant tout, pour l’attention que vous avez porté aux participants. Je sais que, grâce à votre travail, et à travers notre structure, vous avez fait beaucoup pour nos jeunes, que vous avez même réalisé des “sauvetages” de gamins. Je tenais à saluer cette action… qui fait de vous un peu des magiciennes !
Sarah — Même si le quotidien nous a un peu éloignées des jeunes, ils sont restés au centre de notre attention. Et je me dis que même ceux pour qui ça ne s’est pas bien passé avec PIE, on a fait tout ce qu’on a pu pour leur donner leur chance et les valoriser.
Maya — Et on espère, qu’avec le recul, même ceux-là, vous les aurez aidés à avancer et grandir.
Un bref de Gladys pour saluer son départ de PIE