Les jeunes qui partent vivre un an à l’étranger prennent généralement conscience que si l’autre est différent, tous les autres ne sont pas pour autant identiques. «Je suis surprise et je n’y comprend rien. Ici on trouve de tout, il y a vraiment à boire et à manger». Cet enseignement de base, fruit entre autres du contact avec l’étranger, n’a visiblement pas été assimilé par un grand nombre de personnes et notamment par une des personnalités influentes de notre pays.
«Si ce n’est toi, c’est donc ton frère», dit le loup à l’agneau. Autrement dit, toi et ton frère vous êtes forcement les mêmes. Autrement dit, puisque vous êtes tous les deux des agneaux, c’est que vous êtes tous les deux strictement identiques et, à ce titre, incapables de générer des différences. Quand les «loups» expriment leur haine de l’étranger c’est rarement à travers la haine de la différence, mais plutôt de sa privation. C’est rarement l’autre norme qu’ils condamnent, mais bien l’absence de norme, autrement dit l’a-normal (étymologiquement : qui n’a pas de normes). Ils sous-entendent bien, que tout groupe, établi (par eux) comme différent, est en réalité considéré (par eux) comme monolithique, et qu’à ce titre il est inapte à créer ses différences (en tout cas de différer correctement). Ils considèrent donc que ce groupe est incapable de générer une culture, ou, ce qui revient au même, que sa culture est indigne.
Au mois de septembre dernier, le plus sectaire de nos tribuns relançait le sinistre concept d’inégalité des races. Outre le fait que la notion de races humaines est scientifiquement incorrect, il convient de souligner la double perversité du propos, en rappelant, primo : qu’on ne peut accoler et mettre au même niveau une notion génétique (sous entendu dans le terme de race) et une notion de droit et de dignité (sous-entendu dans la notion d’égalité) et deuxio, que si, génétiquement, tous les hommes sont différents, deux blancs (par exemple) peuvent, génétiquement, différer entre eux plus nettement que deux noirs ? C’est cette dernière constatation qui nous ramène directement à notre propos. Ici, le tribun refuse à un groupe (appelé faussement race et considéré – ce qui reste à prouver – comme une entité) le droit d’auto-différer. Notre tribun, c’est évident, ressemble bien au loup de la fable. Mais ce loup là est hypocrite, puisqu’il s’en sort (ou se sauve) en refusant de dire – «noir sur blanc», qui sont, pour lui, les agneaux.
Il est évident que si les «loups» ont les dents aussi acérées, toutes les personnes censées repèrent l’extrême stupidité de leurs propos. Mais certaines campagnes de dénigration de l’étranger (parce qu’elles sont plus subtilement menées) passent inaperçues et ne s’accompagnent d’aucune réprobation. Elles relèvent pourtant de la même inaptitude à respecter la richesse intérieure des autres et leur capacité à différer. On pense notamment à la campagne de dénigration de la société américaine qui, à l’occasion des élections US, a largement envahi la presse (écrite et audio-visuelle) de notre pays – campagne qui consistait assez régulièrement à présenter l’homo-américanus comme un être monolithique et unique, surpuissant, incapable de s’intéresser à autre chose qu’à lui-même, un peu béta et de toute façon immature politiquement – un être qui ne vote pas (sous entendu : il ne comprend pas l’intérêt du vote) et qui a une telle idée de la démocratie que, finalement, il en est peut-être mieux ainsi. «Toi l’Américain, tu n’as pas voté ?… Ah, tu as voté ! Alors c’est ton frère qui ne l’a pas fait…». A méditer !
Article paru dans le journal Trois-Quatorze n°25