Numéro spécial, Le cinquantième

EN GUISE D’ÉDITORIAL —« C’est intéressant, mais je me demande ce que vous aurez à raconter la prochaine fois. »

C’est par ces mots qu’en janvier 1982 un ami de PIE salua la sortie du numéro 1 de TROIS QUATORZE. Cette question du contenu du prochain numéro, nous nous la sommes tous posée à l’époque, et tous alors, sans nous en inquiéter outre mesure, avons émis des doutes sur les chances de survie de ce petit périodique. Il faut dire qu’au départ TROIS QUATORZE était plus une tentative qu’un projet et que la question de la viabilité du journal n’était pas vraiment primordiale. Or, vingt-huit années et quarante-neuf numéros plus tard, TROIS QUATORZE vit encore et sa longévité a, ipso facto, apporté à PIE et à notre mini « rédaction » quelques certitudes. À la question : « Qu’aurez-vous à raconter la prochaine fois ? », nous sommes aujourd’hui en mesure de répondre avec simplicité : la prochaine fois, nous raconterons la même chose que la fois précédente, nous raconterons la même histoire : celle du passage dans un monde inconnu, celle du changement de repères, de l’entrée dans la vie adulte : nous rapporterons à nouveau les récits de nos voyageurs de longue durée, de nos Ulysses, âgés de 15 à 18 ans, tous en demande et en devenir ; nous témoignerons avec ce qu’il faut de rigueur et de distance, de leur folle odyssée et de leur belle métamorphose. Car dans le fond, nous le savons, les récits publiés dans ce journal — et qui en sont à la fois le coeur et l’âme — sont bien tous les mêmes. Ils ressemblent en cela à des contes : ils perpétuent une forme de légende ; ils ont le pouvoir de rassembler tous les participants au sein d’une même famille, celle des voyageurs de longue durée. Si nous avons plaisir à lire ces histoires « toujours recommencées » c’est qu’elles sont mouvantes dans la forme (parfois sombres, souvent drôles, invariablement émouvantes), qu’elles mêlent avec habileté le réel et l’imaginaire, et qu’elles parlent en définitive de l’essentiel. Ces histoires traitent à la fois de la vraie vie et de la vie rêvée, elles ont la dimension banale et rude du quotidien, et celle exotique et magique d’un voyage dans l’espace et dans le temps. D’un côté, elles nous transportent sur d’autres continents, et, d’un autre, elles nous permettent d’observer de près le passage de cette frontière opaque et mystérieuse qu’on nomme l’adolescence.

Dans le tout premier éditorial de notre journal, on pouvait lire : « Trois Quatorze a pour vocation principale de donner la parole à ceux qui vivent les échanges afin qu’ils relatent leur expérience. » Les objectifs étaient ensuite clairement exposés : témoigner des séjours scolaires de longue durée, transmettre l’esprit de l’échange culturel et développer la vie associative. En près de 30 ans, TROIS QUATORZE a largement rempli ces objectifs. Peutêtre même les atil dépassés. Au fil des ans, le journal est en effet devenu le plus fidèle « compagnon » de l’association, l’aidant à créer et à imposer son image. Au fil des numéros, « Trois Quatorze » a trouvé son style, son esprit, sa ligne. « Trois Quatorze » a parlé, par le texte ou par l’image, de tout ce qui touche à l’expérience de vie à l’étranger : horaires, école, rêves, amours, paysages, adaptation, choc culturel, différence, langue et apprentissage, rythme de vie, préparation, réadaptation…. Le journal a traité de tout cela et de beaucoup d’autres choses… « Trois Quatorze » a donné la parole aux adolescents qui vivent l’expérience à l’étranger, mais aussi aux parents, aux hôtes, aux familles, aux enseignants…, a réalisé des enquêtes, a concocté des images, a « croqué » des individus…

Trois facteurs ont rendu possible l’aventure TROIS QUATORZE. En premier lieu, la confiance de l’équipe dirigeante (du délégué général et du directeur financier, et en amont ou en aval – de l’ensemble du conseil d’administration). Cette confiance s’est manifestée à plusieurs niveaux : octroi de moyens financiers non négligeables (eu égard à la dimension de l’association) ; octroi de temps (on a laissé en effet le journal se construire et se professionnaliser sur la durée sans lui mettre de pression inutile et sans jamais lui demander plus que ce qu’il était en âge et en mesure de fournir) ; indépendance de la rédaction (initiatives, liberté de ton…). En second lieu, la gratuité. TROIS QUATORZE, comme il est indiqué sous son bandeau, « ne peut être vendu » ; le journal ne vit par ailleurs d’aucune recette publicitaire. TROIS QUATORZE n’a donc, au sens strict du terme, aucune obligation réelle de résultat. Dans la mesure où il est entièrement financé et soutenu par PIE, sa seule obligation est d’aider au mieux l’association. Comme une telle tâche ne peut se quantifier aisément, la ligne éditoriale du journal s’en trouve sinon dégagée du moins assouplie. Et, en la matière, la souplesse est synonyme de liberté. TROIS QUATORZE a donc pu faire des tentatives, donner la parole à des anonymes, s’installer sur un créneau assez étroit, parler sans contraintes de sujets intéressants mais pas forcément porteurs, et devenir une sorte de référence dans le domaine (à en juger en tout cas par les résultats obtenus en tapotant sur google ou sur un autre moteur de recherche – on pense notamment au thème des différents systèmes éducatifs : japonais, finlandais, américain, mongol…). « Last but not least », l’aventure TROIS QUATORZE a été rendue possible grâce à la collaboration active et enthousiaste des participants au programme d’une année scolaire à l’étranger. Cette collaboration relève presque du miracle. Car, sur la durée et sans jamais faiblir, les étudiants PIE se sont presque tous mobilisés pour alimenter ce journal de leurs récits et de leurs témoignages. Quelle rédaction peut se vanter aujourd’hui, à l’instar de TROIS QUATORZE, d’avoir réuni une moyenne annuelle de 200 envoyés spéciaux, et d’avoir pu envoyer ces reporters sur toute la surface du globe ?

Nous mettons là le doigt sur ce qu’il y a de plus beau et de plus surprenant dans la vie de ce journal, mais, par la même, nous insistons sur la principale menace qui pèse sur son existence. Les générations PIE à venir, qui, par la force des choses, seront plutôt enclines à consulter le net et à rejeter le support papier, continuerontelles à lire TROIS QUATORZE et continuerontelles surtout à l’alimenter ? Les futurs participants relèverontils le défi des anciens ? Deviendront-ils à leur tour les rédacteurs / narrateurs qui ont fait — et qui font — la richesse de ce modeste journal ? Que ces participants à venir soient persuadés — et c’est tout le sens de cet éditorial — que s’ils continuent à assumer ce rôle de conteur, TROIS QUATORZE, de son côté, assumera son rôle de passeur. Puisse ce cinquantième numéro, dans lequel sont regroupés certains des plus beaux récits d’hier et d’aujourd’hui, les encourager dans ce sens.

Longue vie à TROIS QUATORZE !

LA RÉDACTION