Vers une école idéale ?

Martine P. et Philippe P., respectivement directrice d’école élémentaire en ZEP et principal de Collège, sont par ailleurs père et mère d’une participante PIE au programme d’une année scolaire à l’étranger. Ils ont accepté de faire profiter 3.14 de leur double qualité – de professionnels et de parents – en réfléchissant avec nous à la complémentarité des enseignements français et nord-américain.

Trois Quatorze — Les personnes qui ne connaissent pas le programme d’une année scolaire à l’étranger parlent souvent d’une année «perdue» – jugez-vous que Maud a perdu un an ?

P. P.  — Non, certainement pas, bien au contraire. Notre fille n’était pas du tout autonome, et elle a appris à se prendre en charge. Du point de vue purement scolaire, et purement comptable, elle a, certes, une année de retard, mais cela ne lui nuit pas du tout. Cette année lui a permis de se singulariser par rapport à ses camarades. Elle a aujourd’hui une bien meilleure image d’elle-même, elle sait transmettre cette image, se valoriser. Elle a appris à gérer sa scolarité, ses matières. En un mot, elle sait où elle va. Et je n’ai pas parlé de l’apport linguistique (elle est aujourd’hui en classe européenne et a de bons résultats) !

M. P.   — Question autonomie, relations humaines, elle a découvert des choses que d’autres ne découvriront que plus tard une fois dans le monde du travail (confiance dans les autres, travail en équipe, etc.).

Trois Quatorze — En tant que Principal, pensez-vous que l’on puisse définitivement tordre le cou à cette idée d’année perdue, de scolarité perturbée ?

P. P. — Oui définitivement. Mais, j’avoue pour ma part que lorsque ma fille m’a parlé pour la première fois de son idée de partir (via un SMS), j’ai pris peur. Sur le coup, je n’étais pas fier. Il m’a fallu analyser la chose.

M. P. — Question perturbation, il faut peut-être séparer le court terme (dynamique d’études, reprise des cours difficile, handicap dans certaines filières, manque de réponse aux attentes du système…) du long terme. Remis en perspective, ce séjour ne peut être que bénéfique, même d’un point de vue purement scolaire.

P. P. — Pour un candidat aux concours des grandes écoles ou à un entretien d’embauche, c’est une année comme celle-là qui peut faire la différence, grâce à la connaissance de la langue et à l’acquis personnel (investissement, maturité, capacité à catégoriser les problèmes…).

Trois Quatorze — Un de nos anciens participants nous disait qu’un de ses professeurs avait prétendu avant son départ, qu’en s’absentant une année, il allait perdre ses acquis.

P. P. — C’est une ineptie. Tout simplement une ineptie. Jusqu’à preuve du contraire, les connaissances s’additionnent.

M. P. — À quel âge ce séjour vous paraît-il le plus favorable ?

M. P. — Il n’y a pas d’âge idéal sinon celui auquel le jeune veut partir.

P. P. — 15-16 ans me paraît très bien, plus profitable sans aucun doute que 18 ans. L’investissement n’est pas le même quand on part après la terminale et le bac. Je dis cela aujourd’hui, mais quand notre fille nous a annoncé qu’elle voulait partir, j’ai d’abord pensé : « Passe ton bac d’abord. » C’est naturel, il y a cette idée de finir un cycle, mais c’est une erreur, car le bac n’est pas un aboutissement.

Trois Quatorze — Dans une circulaire, le ministère de l’Éducation nationale précise qu’il ne voit que des avantages à ce que se développent les échanges de longue durée en période scolaire, si l’on est assuré de leur intérêt pédagogique et culturel. Que pensez-vous de cette condition ?

P. P. — Je ne connais pas les autres systèmes scolaires. Mais j’aurais tendance à penser qu’à partir du moment où l’on intègre une autre école, et où l’on ne vient pas en touriste, il y a nécessairement un intérêt pédagogique et culturel.

Trois Quatorze — De par votre profession, vous connaissez bien le système français. En quoi se distingue-til du système scolaire qu’a découvert et qu’a intégré votre fille ?

M. P. — Par la prise en compte de l’élève dans sa globalité.

P. P. — Au Canada, notre fille a acquis ce que, dans notre métier, nous appelons des compétences transversales – savoir faire et savoir être. Comment faire pour aller chercher l’information, la restituer, comment se comporter en classe, avec les autres, face aux adultes, etc. Elle a abordé ces questions essentielles. Le système canadien est, en ce sens, différent du système français qui reste basé essentiellement sur le seul cumul des connaissances, sur le savoir à l’état pur.

M. P. — Maud a découvert une organisation scolaire tout à fait différente, où l’entraide, le travail en équipe, la confiance mutuelle (entre élèves d’abord et entre professeurs et élèves ensuite) sont des clés de voûte du système.

Trois Quatorze — Depuis 20 ans, les participants (français et étrangers) nous abreuvent d’informations sur les différents systèmes scolaires. À la lumière de leurs commentaires, on peut, nous semble-t-il, dégager les forces et les faiblesses du système français. S’accorder par exemple à reconnaître que le niveau de connaissance des élèves français est globalement plus élevé que dans beaucoup d’endroits dans le monde. On se situe là dans la grande tradition française d’une école héritée du XIXè (méthode d’apprentissage axée sur le cours magistral et sur son seul contenu, intérêt porté au travail écrit, à l’analyse, à la dissertation…).

P. P. — Oui et parfois même à l’excès ! Mais on en revient à ce que l’on disait. Question acquis, le pari est plutôt réussi, d’autant que l’on est parvenu à maintenir un certain niveau tout en assurant une massification de l’instruction. Il y a trente ans, 20% d’une classe de CM2 passait en 6è, aujourd’hui la majorité des enfants vont jusqu’au niveau bac. Autres points forts du système français : les diplômes nationaux (qui donnent autant de chances à tous les diplômés sur le marché du travail – c’est l’avantage d’un système centralisé), le bac pro, le niveau de recrutement des enseignants.

Trois Quatorze — C’est vrai que l’on pourrait reprocher au système nordaméricain de trop s’intéresser à la méthode, de se centrer sur la pédagogie et de délaisser par là même le contenu. On trouve des enseignants en « high school » qui n’ont pas beaucoup de connaissances dans les matières qu’ils enseignent.

P. P. — Avec le danger de mélanger parfois pédagogie et démagogie !

M. P. — Je crois qu’il ne faut pas raisonner comme ça. L’approche làbas est totalement différente. Ce qui est merveilleux dans ce système, c’est de veiller au fait que l’élève apprenne à travailler et finisse par aimer ça. On peut expliquer ainsi que toutes les matières aient la même importance (sport ou autres), que l’école soit ressentie comme un lieu de vie, presque une communauté.

Trois Quatorze — À la lumière de tous les témoignages publiés dans Trois Quatorze, ce qui se dégage en priorité c’est l’aspect non-anxiogène de l’école nord-américaine. « Ici, J’aime mon école », nous disent les participants.

M. P. — Il est clair qu’il y a une vraie recherche là-bas pour que l’élève ait confiance en son école, donc confiance dans ce qui lui est enseigné. Maud aimait aller à l’école au Canada, c’est une évidence. Cette école est beaucoup moins compétitive par exemple que l’école française (cela peut paraître paradoxal dans ce pays, mais c’est une réalité). Cette donnée est fondamentale par rapport à l’absence de stress.

P. P. — Dans la plupart des systèmes scolaires dans le monde, il n’y a pas de surveillant. Or il y en a en France. Et s’il y en a en France, c’est avant tout parce que les enfants sont sous pression.

Trois Quatorze — Ce mal-être scolaire n’est-il pas dû à un déficit de valorisation de l’élève ? L’école française n’a-t-elle pas tendance à pointer là où ça fait mal, plutôt qu’à travailler autour des compétences de l’élève ?

P. P. — Sans doute oui. L’école française a le défaut par exemple de sélectionner par la négative. Malgré la qualité de l’enseignement professionnel, ce dernier est encore vécu comme une voie de garage. Ce n’est qu’un exemple.

M. P. — De même, il y a les classes de « bons » et des classes de «mauvais » élèves (et même si on est dans le bon groupe, on vous fait comprendre qu’il y a un groupe « meilleur »). Il y a également en France une évidente hiérarchisation des matières : si vous étudiez l’espagnol, il est sous-entendu que vous êtes moins brillant que si vous étudiez l’allemand. Tout cela est très préjudiciable.

Trois Quatorze — Le baccalauréat nous paraît être le symbole de cette école obnubilée par la compétition, et de ces élèves soucieux avant tout du résultat. Dès son entrée en 6è, un élève a le bac en tête. Jetons un pavé dans la mare : peut-on envisager de supprimer le bac ?

M. P. — La question ne se pose pas en ces termes. Le bac correspond au système tel qu’il est. Supprimer le bac, pourquoi pas, mais cela veut dire refonte totale de l’école.

P. P. — Attention, le système a bon dos ! Il faut bien voir que l’attente des parents est forte, et celle des élèves aussi. On l’a vu l’année dernière. En l’état actuel des choses, on ne touchera pas au bac, car c’est la pierre angulaire de l’école nationale. C’est notre histoire, donc notre culture, même si cet examen ne remplit plus tout à fait son rôle. Quand je songe à l’arrivée du bac professionnel et à la révolution copernicienne qu’elle a entraînée, je me dis qu’il y a du chemin à faire avant même de réformer le bac.

Trois Quatorze — Autre pavé dans la mare : les notes sont-elle utiles ? En Suède, on ne note pas les élèves avant 16 ans !

P. P. — Bien sûr qu’il y aurait à réfléchir à cela. Il y aurait beaucoup de moyens de révolutionner la façon d’estimer le travail et les connaissances.

M. P. — Dans les textes, le système de notation n’existe pas. Mais, là encore, la pression des parents est forte.

P. P. — Car les parents demandent des notes et des sanctions ! Vous ne pouvez pas imaginer le nombre de rendez-vous que j’ai avec des parents qui me demandent de sermonner leur enfant parce qu’il a de mauvais résultats.

M. P. — Notre fille Maud, qui a une « petite » dent contre le système, nous dit toujours que l’école française est à la recherche de l’élève parfait, et que la perfection se détermine par la note.

Trois Quatorze — Et la perfection, on en conviendra, n’est pas toujours au rendez-vous. Le «bombardement» de connaissances, dont nous parlions, n’offre pas beaucoup de garanties. Montaigne l’a dit, il y a longtemps, «mieux vaut une tête bien faite qu’une tête bien pleine». Est-ce que l’école française ne met pas la charrue avant les boeufs ?

M. P. — Il y a des questions à se poser à ce niveau-là. D’autant que l’on part du principe que, par je ne sais quel effet magique, en ayant accumulé des connaissances, l’élève va trouver l’harmonie.

Trois Quatorze — Ne peut-on pas imaginer une école idéale : une école très exigeante quant au fond (une école qui privilégierait Ronsard à Renaud – contrairement d’ailleurs à ce qu’a tendance à faire l’école française aujourd’hui) et qui dans le même temps veillerait à la forme – qui s’intéresserait de plus près au message reçu (au moins autant qu’au message émis) et qui veillerait au développement harmonieux de la personnalité de l’élève ?

P. P. — Aimer travailler et travailler bien : on devrait pouvoir y arriver. Mais, ceci dit, il n’y a pas d’école idéale. Chacune doit faire avec sa culture et avec son histoire. N’oublions pas, par ailleurs, que toutes les écoles sont confrontées au problème du nombre d’élèves, au problème de la démocratisation massive de l’enseignement.

Trois Quatorze — Et dans le même temps c’est vrai, à la formation d’une élite. Pour en revenir à la formation idéale, ne serait-elle pas alors le fruit de la complémentarité des systèmes ?

M. P. — C’est pour cela que nous ne voyons que du positif dans l’expérience qu’a vécue notre fille.

Article paru dans le journal Trois-Quatorze n°42