Une enfant de Kumamoto

Marine, Kumamoto, Une année scolaire au Japon

En image : une photo de Théo et de sa bande, Welldford, Nouvelle-Zélande

Par Marine, Kumamoto
Une année scolaire au Japon

16 novembre

Deux mois et dix-neuf jours que je suis arrivée au Japon ! Le temps passe très, très vite. J’aimerais qu’il calme sa course. J’aimerais lui dire que je ne veux pas courir contre lui, mais savourer la promenade.  Le mois d’octobre pourtant a été plus «calme» que septembre. J’ai fait quelques sorties au cinéma, en ville, mais globalement, ce mois-ci, je me suis concentrée sur mon quotidien. Je me suis rendue compte que je commençais enfin à avoir mes habitudes, mes endroits préférés…

Le Japon est à la fois très différent et très proche de la France. Différent parce que la vie ici, tout comme le style de vêtements, la façon de parler, l’éducation, la nourriture sont bien éloignés de ce que l’on connaît en France… Mais proche parce qu’au fond —et je pense que cela est valable pour la plupart des pays dans le monde— on est tous pareils: on mange, on dort, on s’habille, on rit, on pleure, on a peur, on stresse, on se questionne, on aime, on déteste, on partage, on donne, on sourit, on joue… Ça paraît peut-être banal comme ça, mais je trouve ça beau, quelque part. On est tous nés dans des pays différents, parfois à des milliers de kilomètres les uns des autres, on ne parle pas la même langue, on ne se ressemble pas physiquement, on n’a pas la même culture, pas la même éducation, pas le même environnement… et pourtant on peut parler ensemble, rire et partager de merveilleux moments. C’est magique, non?

Là, je parle en tant qu’étudiante d’échange en général. Je parle de cette expérience qu’on est tous en train de vivre, même si elle est différente pour chacun. La plupart du temps, je suis tellement plongée dans mon «aventure» que je ne suis pas réellement consciente de ce que je suis en train de vivre. Alors à certains moments, je me pose au calme, et je me dis: «Ouah, c’est vrai. Je suis au Japon, à dix mille kilomètres de la France. Je suis dans un autre pays, sur un autre continent. Je parle une autre langue, je vis avec une autre famille, j’ai d’autres amis.»

Ce n’est pas Narnia, le Pays des Merveilles, le Pays Imaginaire ou Oz, mais en y pensant, ça s’en approche énormément. Dans ces livres, les personnages changent de monde en passant dans une autre dimension. En tant qu’étudiant d’échange, nous changeons d’univers en restant dans le même monde. Nous sommes semblables à ces personnages qui franchissent la porte d’un ailleurs étrange, où ils découvrent de nouvelles choses, parfois choquantes, parfois amusantes, parfois tristes, parfois heureuses; où ils apprennent à s’adapter (parfois difficilement), à tolérer, à changer. Nous sommes confrontés à des gens qui n’ont pas grandi dans le même univers que le nôtre. En tant que Française, ayant été baignée dans la culture du mélange, de la liberté d’expression (quitte à franchir la ligne qui sépare respect et irrespect), et de la Révolution (on est quand même très connus pour nos révolutions et nos grèves, nous les Français), il y a parfois certains aspects du Japon qui me choquent, mais j’ai appris à passer au-dessus de ça, et désormais, sans être «convertie», j’accepte. Grâce à ça, j’ai d’ailleurs appris à aimer la France, avec ses qualités et ses défauts. Accepter les différences dans un autre pays nous aide aussi (du moins je pense) à accepter les défauts de notre propre pays et à reconnaître ses qualités. Être étudiant d’échange, c’est donc mettre de côté une part de soi, une part de son identité, de ce qu’on est, ou de ce qu’on a été. C’est renoncer à certaines valeurs qui dans notre pays étaient la norme. Ce n’est pas sauter un obstacle, c’est le démonter pierre par pierre jusqu’à en comprendre le fondement. Une fois que cela a été fait, on peut continuer sa route. C’est un voyage continuel. Une fois que l’on est installé(e) dans notre famille d’accueil, notre nouvelle vie, notre esprit continue à avancer. Jamais, il ne s’arrête de marcher, et c’est parfois extrêmement fatiguant. Au début, j’avais besoin de dormir beaucoup. Mais c’était de la «bonne» fatigue. Être étudiant d’échange, c’est faire du sport 24 h sur 24 , 7 jours sur 7 ; c’est s’engager dans un véritable marathon.

J’ai découvert, à l’occasion de ce voyage, la notion de « citoyen du monde », dans le sens où, désormais, mon identité s’est découpée en deux. Je me suis construite en France, et aujourd’hui au Japon j’ajoute de nouvelles briques à cette construction. Je ne suis plus seulement Française, j’ai aussi des morceaux de culture nippone. Je fais partie du monde avant de faire partie d’un pays. Les frontières ne sont plus que des lignes sur une feuille de papier, des lignes inventées pour créer une distance entre les gens.
Être étudiant d’échange, c’est être Alice et tomber au pays des Merveilles après avoir suivi un lapin blanc nommé «Tentation de l’ailleurs». C’est être Wendy et ses frères et suivre Peter Pan, c’est être Dorothy et être emportée par une tornade d’un changement  rapide et violent, c’est passer au-delà des frontières, au-delà des langages. C’est donner beaucoup et recevoir tout autant. C’est vivre. C’est sûrement une des plus belles choses qui puisse exister.

10 décembre

Il y a quelques jours, j’ai fêté mes trois premiers mois au Japon. Trois mois, il paraît que c’est «le» tournant. Le premier, du moins. Certains ont peut-être déjà été «homesick» d’autres sont retournés dans leur pays, d’autres en profitent à fond. Personnellement, pendant une semaine je me suis demandé si je profitais assez, si j’avais vu assez de choses, et je me suis demandé surtout, ce que je ferais à mon retour ; mais maintenant, c’est fini. Après avoir fait une sortie avec d’autres étudiants d’échange, je me suis rendue compte à quel point j’avais de la chance. Savoir que je connaissais mieux la ville que ceux qui étaient  là depuis mars dernier, quelque part, ça m’a fait plaisir. C’est sûrement très mauvais de penser comme ça, mais j’ai été vraiment rassurée. En trois mois, j’ai exploré ma ville, ses rues… j’ai erré surtout. J’ai découvert des coins que je n’aurais jamais pu voir en tant que touriste. J’aime les rues, le ciel découpé par les fils électriques, les chats errants, le bruit du train, le ronronnement des voitures. J’aime marcher sans forcément avoir de but précis, juste pour sentir cet air que je respire depuis trois mois déjà, et pour sept mois encore. Je ne suis pas venue au Japon, je n’ai pas travaillé ni payé aussi cher juste pour passer mon année plongée dans un dictionnaire de japonais, gentiment assise à mon bureau, à côté de ma famille d’accueil. Je suis venue pour découvrir le Japon, dans ses moindres recoins. Pour pouvoir dire: «Oui, j’y ai vécu.»

Mon lycée, le deuxième plus vieux de la ville (seulement pour filles, je me sens obligée de le rajouter à chaque fois) est proche d’autres lycées, et surtout proche du centre. En prenant le train tous les matins, en allant à l’école, je parle avec des lycéens d’un lycée voisin. Le monsieur de la gare dans laquelle j’arrive tous les matins, ainsi que des commerçants, ont l’habitude de me voir, ils me disent «Itterasshai!» (littéralement: «Bon voyage!») ou «Ki wo tsukete!» («Fais attention à toi» ou «Prends soin de toi»). Je ne suis pas la seule étudiante d’échange de mon lycée: il y a une autre étudiante française, arrivée une semaine avant moi. Certains disent que ce n’est pas bien de «traîner» tout le temps avec une personne de son pays, et je suis d’accord, si cette personne a une mauvaise influence, ou si elle ne souhaite pas s’intégrer — et je suis d’ailleurs assez réticente à sortir avec d’autres étudiants d’échange en dehors de Sarah. Pourtant, le fait qu’on soit deux, et qu’on s’entende très bien (au point que certains Japonais nous ont prises pour des sœurs), a encouragé notre vie sociale. Toute seule, je n’aurais sûrement pas été en ville tous les jours après les cours, je serais beaucoup moins sortie. De plus, les gens hésitent beaucoup moins à aborder deux personnes. Seul(e), on peut, je suppose, se sentir agressé. En étant toutes les deux on a rencontré beaucoup de monde et on s’est «approprié» la ville. Le proverbe africain qui dit «Seul, on marche plus vite; à deux, on marche plus loin », je le comprends tout à fait aujourd’hui. Sans se contenter des rues principales, on a mené notre petite barque sur les ruisseaux, et on a découvert des endroits qui resteront un peu «à nous» : des petits temples cachés entre deux bâtiments et absents des guides touristiques, des boutiques indépendantes qui se tenaient à l’écart de l’animation des grandes artères.

Je n’oublie pas cependant que le but de cette année est aussi de se lier avec des gens du pays. Et je pense avoir plutôt bien réussi de ce côté-là. J’ai fait déjà plusieurs sorties avec des filles de mon lycée, et j’en ai d’autres de prévues. Je me suis bien intégrée à l’école, et j’adore ma classe et mes professeurs.
Je vais être honnête: en dehors du lycée, je n’étudie pas vraiment mon japonais… dans les livres, du moins. Mais je pense que c’est mille fois mieux, quand on a la chance d’être dans le pays, de voir la vraie vie plutôt que de l’étudier dans un manuel. En France, ça ne me dérangeait pas de passer la journée sur l’ordinateur, enfermée à la maison, mais, ici, j’ai vraiment besoin de sortir, rien que pour marcher un peu. J’adore ma famille d’accueil, mais ils sont très occupés par leur travail, alors je suis vraiment heureuse qu’ils me laissent sortir régulièrement. Je trouve qu’un étudiant d’échange devrait avoir, dans la mesure du raisonnable (de sa personnalité, de son âge, et de sa maturité), une certaine liberté. On fait une année d’échange, pas une école préparatoire.

En parlant de ma famille d’accueil, je dois les remercier pour ce qu’ils font pour moi. Ma mère d’accueil me prépare mon «bento» tous les midis, et ils m’accueillent bien. L’appartement n’est pas très grand. Il m’arrive d’avoir envie de rester au calme dans ma chambre quand les enfants sont trop bruyants, mais je pense m’entendre de mieux en mieux avec eux, notamment avec ma mère d’accueil, que j’admire vraiment, comme j’admire ma maman en France. Parler de sa famille d’accueil est assez privé, et je pense que l’on peut admettre que je ne veuille pas m’étendre sur le sujet, mais je veux juste leur dire merci, du fond du cœur. Je suis heureuse de faire partie de leur famille.

Aujourd’hui, après avoir vu une autre ville, je me sens vraiment chez moi à Kumamoto. Pas forcément uniquement dans la maison de ma famille d’accueil, mais plutôt dans la ville en elle-même. Kumamoto n’est pas une très grande ville (comparée au reste du Japon), et en dehors de son château et des deux artères de magasins couvertes, elle n’a probablement pas grand-chose d’attirant pour quelqu’un qui vient de l’extérieur. Mais je l’aime. Elle m’a accueillie, elle m’a ouvert ses portes, ses secrets, ses recoins cachés, et tous ces endroits qu’il faut chercher avant de trouver. J’aime les gens qui y vivent, le bruit qui l’anime, les corbeaux qui la survolent. J’ai un étrange sentiment de sécurité, ou d’apaisement, quand j’y suis. Ce n’est sûrement pas la ville la plus propre ni la plus sûre du Japon, ce n’est pas la ville la plus historique, la plus culturelle, la plus belle, la plus grande, la plus animée, mais c’est la ville où je vis et où j’aurai en partie grandi. Je suis une enfant de Kumamoto.

Une chose est sûre, je ne regrette pas mon choix. Je suis heureuse là où je suis, et je n’ai pas l’intention d’échanger ma place. Je veux continuer de profiter, de vivre cette vie, afin de pouvoir rentrer en France avec un œil nouveau, et des souvenirs à ne plus savoir qu’en faire.