Seconds départs, par Julien

C’est une histoire de résiliences : celle d’un ado en échec et quasi en dépression, celle de deux familles d’accueil qui choisissent de ne pas abandonner, et celle enfin de deux organismes qui, dépassant les apparences, choisissent de faire confiance.
C’est une histoire de départ et de second départ, de déclics et de déclic à nouveau… et encore.
Julien, personnage introspectif et solitaire va partir une année aux États-Unis avec PIE, puis, dans la foulée, une année en Nouvelle-Zélande. Il y croisera le chemin de deux familles protectrices et aidantes qui vont le secouer, le pousser à regarder, en face, et les choses et le monde. Julien aura la sagesse d’écouter, la volonté de se bouger et la force d’agir. C’est donc aussi une histoire de métamorphose intérieure qui laisse la voie libre à un être en mouvement.

En images : 1. Julien d’hier (2018) et d’aujourd’hui — 2. Julien et sa famille d’accueil dans le Michigan — 3. Julien et son père d’accueil néo-zélandais — 4. Julien et son School Bus

 

Parcours d'anciens participant PIE | Julien FaubléePrénom : JULIEN

Nom : FAUBLÉE

Nationalité : Française

Promo : 2018 (Sardine Citrouille)
& 2019 (Rhinocinelle Pistache)

Destination : State Park, Michigan, USA
Otaki, New-Zeland

Situation actuelle : Étudiant en licence pluridisciplinaire

 

 

 

 

 

Pourquoi je suis parti un an avec PIE ?
J’étais en décrochage scolaire total et ce, depuis presque deux ans. On ne savait trop pourquoi. Je dis “on”, car je pense qu’on m’avait collé une étiquette… l’école, ma mère… un peu tout le monde. Certains de mes professeurs pensaient que j’étais intelligent —en tout cas, que malgré mes résultats, j’avais des capacités—, d’autres jugeaient, dixit les intéressés, que j’étais débile. Et moi au milieu de tout ça, ce qui est sûr, c’est que j’avais une mauvaise image de moi-même : mon cerveau finissait par être convaincu que j’étais idiot, puisque la moitié des gens me renvoyait cette image (c’est d’ailleurs ce que m’a confirmé ma mère après coup).
Moi je savais que j’étais bizarre, tout le temps seul, décalé. Le peu d’amis que j’avais, je me suis rendu compte plus tard que je ne pouvais pas leur faire confiance. Certains ne me respectaient pas.
Je me souviens que je me demandais tout le temps pourquoi je devais aller à l’école, ce que je fichais là. C’était un leitmotiv. J’inventais tous le prétextes pour justifier ce rejet global du collège… car, si aujourd’hui j’arrive à analyser mon échec, à l’époque ce n’était pas le cas. J’étais simplement balloté. Je fournissais le minimum syndical. J’étais comme un fantôme : là… et en même temps pas là, jamais à ma place. Je subissais sans comprendre.

Deux années en High School avec PIE | Julien et sa famille d'accueil dans le Michigan

J’en étais là, quand ma mère s’est souvenue que la fille de son ancien compagnon était partie une année à l’étranger avec une association… PIE. On est allés à une réunion d’info. Ma mère et moi on a accroché tout de suite. Mes parents voyaient cela comme une solution à ma situation. Moi j’avais juste envie de voyager, au sens premier du terme : j’avais l’idée de partir, de m’évader. Mais, forcément on se posait plein de questions : on a donc pris rendez-vous avec le bureau de Paris. Je me souviens que Sarah Souini —qui nous recevait— m’a littéralement pourri parce que je me tenais mal et que j’avais l’air désintéressé. J’avais pourtant conscience à ce moment que ce qui se présentait à moi était unique, que l’occasion ne se présenterait pas deux fois. Mais j’ai enregistré le message : il y avait quelque chose dans mon attitude qui clochait !

Et là, tout à coup, à ce moment précis, je comprends !
Je prends conscience que je suis en train de tout gâcher, de tout ruiner. Ce moment, est LE moment où je me suis réveillé.

Mon année PIE en trois mots
DÉTERMINATION — Les deux premiers mois aux USA se passent bien. C’est du moins le sentiment que j’ai. Pour moi tout roule, mais pas forcément pour mon entourage, car j’ai des notes pourries… et puis, je ne me lave pas, sous prétexte que la douche est trop sale ! (aujourd’hui l’argument me fait doucement rire), je passe tout mon temps libre sur ma console de jeu, et, surtout, je ne m’intéresse pas du tout à ma famille d’accueil… D’ailleurs, c’est elle qui finit par me dégager ! Et pour moi, c’est un choc, on me “change” de famille sans que je ne  vois  rien venir. Derrière ça, je rentre rapidement dans une phase de dépression : incompréhension de ce qui m’arrive, mal du pays, mal-être… J’étais dos au mur.

J’ai pensé : “Tu as traversé tout ça, tu es allé au bout de ton année sans être rapatrié, et maintenant te voilà : tu en es là !” Et à partir de là, j’ai compris que je ne devais jamais abandonner.

Un jour ma représentante (responsable ASSE sur place) arrive chez mon père d’accueil (N.D.LR. : Julien est chez un homme seul avec son fils) et nous installe tous les trois autour de la table. Elle veut qu’on se parle : et là, elle m’explique que je suis à deux doigts d’être rapatrié et qu’il faut que je me bouge, et que je réagisse. Je ne m’y attends pas du tout ! Je me souviens que j’ai pleuré pendant tout l’entretien. J’écoutais. J’encaissais… mais j’entendais aussi. Quand on en a eu fini, j’ai appelé directement ma mère qui m’a expliqué, que si je rentrais en France, elle n’avait pas de solution : ni scolarisation possible, vue l’époque de l’année, ni travail possible, vu mon âge !
Et là, tout à coup, à ce moment précis, je comprends !
Je prends conscience que je suis en train de tout gâcher, de tout ruiner. Ce moment, est LE moment où je me suis réveillé. Je me suis dit : “Julien, ça suffit : tu changes, tu travailles…”
CONFIANCE — Et tout a changé ! À partir de cet instant et de cette prise de conscience, je me suis mis à croire en moi, à m’investir. En fait, les deux ont fonctionné de pair. C’était comme un déclic. Et après cela, tout a commencé à tourner : au niveau humain et scolaire aussi. Et quand est arrivée la fin du séjour —c’était en mai ou juin suivant—, et que j’ai regardé derrière moi, j’ai réalisé le chemin parcouru. J’ai pensé : “Tu as traversé tout ça, tu es allé au bout de ton année sans être rapatrié, et maintenant te voilà : tu en es là !”
AGIR — Et à partir de là, j’ai compris que je ne devais jamais abandonner, et c’est devenu un de mes traits de caractère. Je sais qu’il faut réaliser les choses, les amener au bout.

Une anecdote sur mon séjour
J’ai réussi à faire ce chemin parce que j’étais parti loin et longtemps, et parce que j’étais aux États-Unis, dans un sytème éducatif qui m’a rassuré, accueilli. Je me suis senti protégé. Je n’ai pas été jugé. On m’a laissé une chance. Dans ma “class” de “Band” (musique/orchestre), la prof nous disait qu’on était une famille, qu’on avançait ensemble, en s’écoutant, en respectant l’autre. Et tout dans ma scolarité à été ensuite à l’image de ce cours.
L’anecdote que j’ai choisie touche à un cours d’histoire et en dit long sur l’approche pédagogique que je découvrais. Notre prof voulait nous expliquer le taylorisme : il a distribué à chacun d’entre nous une feuille et nous a demandé de faire le maximum d’avions en papier, et ce le plus rapidement possible ; on s’est exécutés. Puis, il nous a placés en ligne et a attribué à chacun une tâche en relation avec la fabrication de l’avion (le premier pliait la feuille en deux, le second dans l’autre sens, le troisième entamait l’aile et ainsi de suite..). On s’est exécutés à nouveau et on s’est rendu compte au final qu’en travaillant de cette façon on fabriquait beaucoup plus d’avions. Je n’avais jamais assisté et participé à un cours comme ça, et ça m’a tout de suite parlé : on participait tous. D’un côté, cette approche était nouvelle et parlante, et, de l’autre, cette ambiance et cet investissement collectif m’ont emporté.

Un second départ
Lorsque je suis rentré en France, j’ai trouvé que tout était petit, voire même minuscule, comme étriqué, même moche. Je me sentais à l’étroit, et mes parents sentaient que je devais poursuivre pour continuer à avancer sur ma lancée et pour faire fructifier mes acquis. On a envisagé un nouveau départ aux USA (vers une école privée, car il est impossible de faire deux années de suite dans le public), mais ça s’est avéré impossible également : on a essuyé plusieurs refus de visa. Alors, en septembre 2019, on a basculé, vers la Nouvelle-Zélande. La décision a été prise rapidement. Pour moi c’était, à nouveau, UN NOUVEAU DÉPART…. et derrière ça, un nouveau défi et de nouveaux enjeux. Autant j’étais inquiet la première fois, autant cette fois-là, j’étais serein. Je connaissais les règles du jeu.

Deux années en High School avec PIE | Père d'accueil en Nouvelle-ZélandeCe que j’ai acquis à l’occasion de ce second séjour ne relève pas de la même sphère:
LA CULTURE — Je suis tombé amoureux de la Nouvelle-Zélande, du pays, du  paysage, de la solidarité des habitants, du rapport qu’ils ont au sport (je m’y suis mis sérieusement), à la nature, à ce mélange de tradition et de modernité. Le premier voyage, aux États-Unis était introspectif, le second m’ouvrait l’esprit sur mon environnement. Il m’a permis de faire des rencontres : mon père d’accueil, mon frère d’accueil, mes amis, mes profs… un pays.
LE RESPECT— Un jour mon père d’accueil m’a pris entre quatre-z-yeux et m’a dit fermement ce qu’il pensait de mon attitude vis-vis de ma mère : “Tu crois la respecter, mais en réalité tu ne la respectes absolument pas.” Il s’est expliqué, m’a dit ce qui le choquait, la façon que j’avais quelque part de l’utiliser. C’était dur à attendre, mais à bien réfléchir, c’était vrai. Là encore, ça m’a fait bouger. ça a fait son chemin dans ma tête.
Quand je suis revenu en  France, j’ai fait bouger les choses à la maison pour que mon père et moi on s’investisse plus et on tienne plus compte d’elle. Je suis très reconnaissant aujourd’hui envers mon père d’accueil de m’avoir ouvert les yeux.
AUTONOMIE — J’ai appris en Nouvelle-Zélande à faire le ménage, la cuisine, ma lessive aussi… en fait, j’ai appris à vivre seul. Je crois que je suis devenu un être plus sociable. Ça s’appelle peut-être grandir.

Mon parcours depuis mes séjours PIE

J’ai envisagé un moment de faire ma vie en Nouvelle-Zélande. Mais ça paraissait compliqué et j’avais des trucs à régler en France. Il fallait rentrer ! Histoire notamment d’affronter un système et une école que j’avais quittés en mauvais termes. Pour ce faire, j’ai pensé qu’il serait pas mal d’obtenir ce truc qu’on appelle le baccalauréat, que ça pouvait être utile. D’autant que l’idée de devenir enseignant commençait à trotter dans ma tête. J’avais tout laissé en plan et en situation d’échec, mais je revenais costaud, confiant, neuf. Quelque part je décide de devenir “normal”.
Je crois que je le suis… mais je réalise assez rapidement qu’en réalité je suis quand même un peu “différent”… ne serait-ce que par mon parcours ! mais, cette fois, je crois que j’assume ma particularité. On m’a proposé de reprendre la scolarité en terminale, mais  pour ne pas me compliquer trop la tâche, je préféré réintégrer une première.

J’avais des trucs à régler en France. Il fallait rentrer ! Histoire notamment d’affronter un système et une école que j’avais quittés en mauvais termes.

Jusqu’au bac, tout a roulé, je dirais même, a roulé merveilleusement bien ! J’ai conscience alors que “l’anormalité” de mon statut —du moins ce qui me distingue— est une force qui m’autorise et me donne la possibilité de me mettre en valeur ! Je comprends que je ne suis pas forcément le problème… que le système français —que je peux maintenant comparer à d’autres systèmes— est beaucoup trop rigide, bien trop cadré ; beaucoup d’élèves ont du mal à y exprimer leur potentiel. Personnellement j’y suis arrivé parce que je suis sorti du cadre et que j’ai pu voir tout cela avec du recul et/ou de la distance. Mais tout le monde —et j’en ai conscience— n’a pas cette possibilité.
Je veux devenir professeur d’anglais. Après le bac, je rejoins la fac, mais par peur d’être enfermé et contraint, je choisis de faire une licence pluridisciplinaire. Le principe consiste à opter pour une discipline majeure (qui représente 50% de son cursus) et en parallèle de suivre des cours dans des domaines très différents (et souvent complémentaires), et la particularité tient au fait que l’on pioche et que l’on suit ses cours dans d’autres facultés : lettres, sciences humaines, gestion, économie, etc. Moi, par exemple, je prends des cours d’anglais en domaine principal et  des cours de Sciences Politiques, de Droit, et d’Ethique en cursus général. Et l’autre particularité tient au fait que l’on doit axer le tout autour d’un projet global d’études. Pour ma part le projet tourne autour de l’enseignement de l’anglais, et de l’échec scolaire et de l’aide aux élèves en décrochage. Il n’est pas bien difficile de faire le lien avec ce que j’ai vécu !
Le travail se fait principalement en groupes. On est donc très proches d’une pédagogie à l’américaine (ou à l’anglo-saxonne) et cela me convient parfaitement. Je fais mes études à l’université catholique de Lille qui est la seule en France à proposer ce cursus.

Ma relation à PIE
Je suis particulièrement reconnaissant envers PIE qui a… comment dire… un peu sauvé mon parcours, qui m’a permis de me rendre compte que je pouvais tout simplement faire des choses. PIE et tous ceux qui y sont associés (mes profs, mes familles) c’est un virage pour moi. Je dirais même LE virage. Aujourd’hui, je suis curieux de comprendre comment marche l’association, comment ça se passe de l’autre côté.

Si je n’étais pas parti avec PIE
Si je n’avais pas rencontré l’association, je ne sais pas si j’aurais un avenir.
Scolairement, j’aurais totalement décroché, ça c’est sûr : je n’aurais pas le bac, etc. Mais je pense surtout que je me serais enfoncé dans un long tunnel… d’isolement et de solitude. Je pense que je serais tombé en dépression. PIE c’est un déclic, le truc qui m’a sorti de ma nature et qui m’a permis de me rendre compte qu’il y avait les autres, et qu’au-delà de ma mère, parmi ces autres, il y avait des gens prêts à me soutenir.

Si je n’avais pas rencontré l’association, je ne sais pas si j’aurais un avenir.
Scolairement, j’aurais totalement décroché, ça c’est sûr : je n’aurais pas le bac, etc. Mais je pense surtout que je me serais enfoncé dans un long tunnel… d’isolement et de solitude !

Deux années en High school avec PIE | Julien, USA et Nouvelle-Zélande