Il faut être solide

Au mois de septembre dernier, Geneviève Emanuely, déléguée PIE, accompagnait deux participantes vers leur destination d’accueil : Shengyang, au nord de la Chine. De ce court périple elle ramenait quelques informations précieuses sur le sens d’un séjour d’une année scolaire dans ce pays, sur les richesses qu’un(e) adolescent(e) français(e) pouvait en tirer, sur les difficultés qu’il(elle) était susceptible de rencontrer.

ShengyangEntretien

Trois Quatorze – Avant de parler des participants au programmes, peut-on dire un mot du pays, et vous poser la question traditionnelle : qu’est-ce qui, dans la société chinoise, vous a marqué ?

Geneviève Emanuely – C’est indiscutablement cette scission qu’il y a entre une classe sociale intégrée, puissante (qui semble avoir un vrai pouvoir économique, culturel ou intellectuel) et une classe de… ‘parias’. C’est une société à deux vitesses, avec ceux qui existent et ceux qui survivent. La comparaison est dure, mais pour toute une frange de la population, j’ai vraiment pensé au servage. J’ai connu la Roumanie dans les années 70-80, avec les ‘apparatchiks’ et les autres, et la Chine m’y a vraiment fait penser.

Trois Quatorze – En discutant avec nos correspondants ou avec les responsables de l’école, d’autres choses vous ont-elles frappée ?

Geneviève Emanuely – Oui. Notamment la curiosité des Chinois à l’égard de l’autre, de l’étranger. Ils veulent comprendre notre mode de vie, notre fonctionnement. Dans l’observation, ils sont très pointus, très précis, très pertinents. Ils font preuve à ce niveau d’énormément de finesse et me paraissent avoir une grande capacité d’intégration. Beaucoup plus, me semble-t-il, que la plupart des Nord-Américains. Les Chinois qui ont eu accès à la culture et qui ont étudié me paraissent réellement cultivés et instruits.
Il faudrait parler aussi de tout ce qui, au premier coup d’oeil, vous marque, vous intrigue ou vous choque. Des points qui ont trait à l’hygiène, au savoir-vivre, à l’idée de modernité. Les Chinois sont obnubilés par leur rapport à la modernité. Ils sont très préoccupés par le fait d’être ‘dans le coup’. Ils ont l’idée d’un retard à combler et l’idée, plus perverse, qu’il leur faut, pour entrer dans la modernité, faire table rase du passé.

Trois Quatorze – Quel accueil vous a-t-il été réservé ?

Geneviève Emanuely – Il était 10 heures du soir quand nous sommes arrivées (après deux jours de stage et un voyage de plus de 30 heures !). Nous nous attendions à un accueil discret, mais ce fut loin d’être le cas. Tout le monde était là : les deux familles au complet, les amis, les amis des amis, la correspondante de PIE, son assistant, le proviseur de l’école, le professeur de lettres… Et puis les fleurs, la chaleur ! Vraiment, un accueil extraordinaire. De quoi faire rougir les Américains… pourtant spécialistes en la matière.

Trois Quatorze – Pour un occidental, la Chine procure-t-elle vraiment ce ‘dépaysement’ dont parlent tous les voyageurs ?

Geneviève Emanuely – Plus que cela. En arrivant en Chine vous êtes désorienté. Et si tant est que vous ne parlez pas le chinois, vous êtes même totalement perdu. Le simple handicap de la langue devient un obstacle gigantesque : la conversation est très difficile à engager – dans la rue vous ne savez comment vous diriger – au restaurant vous êtes incapable de commander. Il y a peu d’endroits dans le monde où vous ne trouvez pratiquement personne pour vous comprendre et où signes, insignes et inscriptions vous sont incompréhensibles ! Moi qui ne vais jamais au Mac Do, j’ai été contrainte un jour d’y aller, parce que j’étais incapable de trouver autre chose.

Trois Quatorze – Vous connaissez bien les séjours de longue durée pour les adolescents. Quelles sont, d’après vous, les particularités de l’expérience chinoise ?

Geneviève Emanuely – Un jeune doit savoir que nombres de ses repères vont exploser : structure de la société, mode de vie. Ajoutez à cela la difficulté de la langue (prononciation), la rigueur scolaire, les problèmes de confort et d’hygiène – dont Nadège parle plus haut – et vous pouvez affirmer que l’adaptation en Chine est globalement beaucoup plus dure pour un jeune Français que ne l’est l’adaptation en Allemagne ou au Canada.

Trois Quatorze – Une destination à déconseiller, alors ?

Geneviève Emanuely – Absolument pas, mais je pense simplement qu’il faut être solide. Il faut que le jeune soit prêt à affronter ce type de difficultés, qu’il en soit conscient. Nadège, par exemple, était typiquement prête à vivre cette expérience. Souriante, disponible, toujours contente, douée scolairement.

Trois Quatorze – Ça fait beaucoup de qualités, non ?

Geneviève Emanuely – C’est un séjour d’une grande exigence, qui ne s’accompagne pas forcément des notions de plaisir et de détente. Mais je crois que si on est disponible, c’est une expérience très forte, très enrichissante, très positive.

Article paru dans le journal Trois-Quatorze n°30