De PIE au Quai d’Orsay

Marc-Alexandre, ancien participant au programme High School de PIE (USA 2007 — Crevette dorée), travaille aujourd’hui au cœur des services de l’État. En tant qu’agent au Quai d’Orsay, il porte la politique publique. Il était intéressant de retracer son parcours et d’établir des liens entre son activité et son passé d’étudiant international.

En Image : le quai d’Orsay à Paris (Archimag)De PIE au quai d'Orsay - Parcours d'un participant au programme d'échange de PIE

 

3.14 — Dans quelles conditions es-tu parti une année scolaire et comment s’est construite ta relation à PIE ?
Marc-Alexandre — On peut parler d’une histoire familiale. Ma mère et mon frère étaient partis une année avec AFS. Mes grands-parents avaient l’habitude d’accueillir sur la longue durée. D’autres personnes de ma famille (une tante, un cousin…) étaient parties elles avec PIE. De mon côté, j’avais participé à deux séjours plus courts, dont un en Autriche. J’avais donc baigné dans cette ambiance depuis bien longtemps. Il y avait quelque chose de parfaitement naturel dans cette démarche et d’inscrit dans l’ADN familial : curiosité envers l’étranger, volonté de promouvoir une meilleure compréhension pour nouer des liens à partir de valeurs universelles.

3.14 — À 17 ans, tu t’es donc senti prêt, toi aussi, à faire tomber des barrières ? C’était comme une évidence, n’est-ce pas ?
M.A. — Tout à fait, mais pour autant cela ne s’est pas fait sans anicroche. Quelle que soit la préparation, le contexte, il y a, une fois sur place, le vécu et le ressenti. Il est presque impossible, selon moi, d’échapper au choc culturel, aux moments où « trop c’est trop », au moment où l’« on voudrait rentrer », à ceux où on ne veut plus revenir.

3.14 — Comment, de ton côté, s’est donc manifesté ce choc culturel ?
M.A. — À l’époque, PIE et ASSE avaient mis en place, pour certains participants, une sorte de sas de préparation : 4 semaines de cours de langue avec accueil dans une famille provisoire. C’est dans ce contexte que j’ai débarqué pour un mois, dans le Kentucky. Je me suis retrouvé en plein cœur des USA, dans un monde totalement étrange au premier abord, un monde où tout se fait en voiture, où Wall Mart est le centre des communications et des échanges. J’ai découvert là-bas les paquets de chips géants, la tradition des barbecues, j’ai assisté à des discussions sur la meilleure façon de faire des « Ribs » à la bière. L’ambiance était forte. C’était une magnifique entrée en matière. On avait des cours le matin, on passait l’après-midi à la piscine, j’ai pu visiter Fort Knox, la maison d’Abraham Lincoln, Mamoth Cave…

3.14 — À la fin de cette période « d’introduction », tu as changé radicalement de contexte, n’est-ce pas ?
M.A. — Totalement. Je me suis retrouvé à Boston Downtown (à Cambridge exactement), dans un milieu particulièrement « éduqué », où il était presque normal d’avoir étudié dans les plus grandes universités américaines (Harvard, MIT, etc.). Mon père d’accueil avait fait Yale.

Cet homme qui m’a reçu était totalement dans cet état d’esprit de l’échange —que je nommerais état d’esprit PIE— qui implique à la fois une capacité à donner et à engager une remise en cause de soi-même et de ses habitudes.

3.14 — Quel était le contexte familial ?
M.A. — Mon père d’accueil vivait seul. La rupture était totale. En tant qu’étudiant d’échange, j’avais connu l’Autriche (et la famille catholique de 5 enfants !), la campagne du Kentucky (et la famille recomposée)… et là, je me retrouvais en plein centre d’une ville où l’on se déplace à pied et en métro… et chez un homme seul. La relation interpersonnelle changeait tout : un seul point d’ancrage, un seul référent : soudain, il y avait lui et moi. J’ai eu une grande chance, car il était totalement dans la démarche de transmission. Il était très investi dans ASSE (partenaire américain de PIE). J’étais le quatrième étudiant qu’il accueillait. Il était particulièrement curieux de la « chose » européenne (il en avait une bonne compréhension) tout en étant vraiment très américain.

3.14 — Dans quel sens ?
M.A. — Je dis cela pour souligner que la Côte Est ce n’est pas le Midwest —c’est vrai— ce n’est pas le Sud non plus, mais que contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce n’est pas l’Europe non plus. Pas du tout même. La Côte Est c’est une Amérique à part entière.

3.14 — Dix ans après, que te reste-t-il de cette année ?
M.A. — J’ai eu une chance incroyable car cet homme qui m’a reçu était totalement dans cet état d’esprit de l’échange —que je nommerais état d’esprit PIE— qui implique à la fois une capacité à donner et à engager une remise en cause de soi-même et de ses habitudes. Il m’a emmené partout : New York, Washington, Le Maine, la Nouvelle-Orléans, le bayou, les forêts, la montagne. On peut dire que j’ai vu du pays. Mais au-delà de cette expérience merveilleuse, et en partie grâce à mon père d’accueil, je crois que j’ai appris la tolérance. Je suis parti aux USA avec une tonne de préjugés, une sorte d’antiaméricanisme auquel se mêlait une forme de fascination. J’avais cette idée d’une sous-culture et d’une civilisation de la disproportion. S’intégrer c’est apprendre à dépasser ce genre de préjugés. J’ai également appris, lors de mon séjour, à admettre et à accepter un système de relations interpersonnelles totalement différent de celui que je connaissais.

3.14 — Peux-tu nous évoquer un point précis qui fasse référence à cet apprentissage global de la tolérance ?
M.A. — Je viens d’une famille qui n’est absolument pas religieuse. Et je regardais tout ce qui se rapportait à un culte avec un regard curieux. J’ai découvert là-bas que la pratique religieuse dépassait la question de la foi. Aux USA, la pratique religieuse est avant tout un liant social. Avec ses activités, ses échanges, ses cercles parallèles, elle aide à structurer les relations… elle crée, par exemple, de la mixité.

Une année là-bas vous apprend que les choses ne sont pas si stéréotypées qu’on le croit, et qu’elles apparaissent, quand on les vit de l’intérieur et au plus près, dans toute leur complexité et leurs nuances.

3.14 — Ce qui pourrait expliquer que ce pays d’essence libérale soit parfois moins individualiste que nous ne le sommes ?
M.A. — Une année là-bas vous apprend que les choses ne sont pas si stéréotypées qu’on le croit, et qu’elles apparaissent, quand on les vit de l’intérieur et au plus près, dans toute leur complexité et leurs nuances. Un exemple : j’étais dans le lycée public de ma ville. Et j’ai découvert de ce fait qu’au cœur même du Massachusetts —cet État qui « va bien »— il y avait des problèmes liés à l’immigration. J’ai découvert une communauté haïtienne (avec ses traits de caractère, ses particularités et ses différences) dont je ne soupçonnais même pas l’existence. Si on ne se plonge pas dans le cœur du pays, il y a des choses qu’on ne peut pas connaître et qu’on ne peut pas comprendre.

3.14 — Qu’est-ce qui a été le plus difficile pour toi durant cette année ?
M.A. — C’est de ne pas avoir eu une année ponctuée de moments de regroupement, de chaleur et de communion familiale : pas de Noël, pas d’anniversaire. Mon père d’accueil n’avait pas cette fibre familiale. C’était un peu le versant négatif de cet accueil si riche et si particulier : j’ai passé mon réveillon de Noël dans une chambre d’hôtel à manger un sandwich ! On ne peut pas tout avoir. Je crois qu’un des points forts de ce séjour tient au fait qu’il est impossible d’imaginer à l’avance ce/ceux que l’on va rencontrer.

3.14 — Qu’as-tu fait à ton retour ?
M.A. — Mon père est Grec. J’avais donc passé une bonne partie de mon enfance à Athènes, où j’étais scolarisé au lycée français. Ma mère, qui savait qu’à mon retour en France je me retrouverais dans un pays qui m’était quasiment étranger, avait intelligemment préparé la suite. Pour me protéger du gigantisme et de l’anonymat de la fac française, elle m’avait dégoté une petite structure au sein de l’université de Sarrebruck, laquelle préparait au droit français et allemand. J’avais passé une année d’études en Autriche, je parlais donc allemand. Je me suis donc retrouvé pour deux ans dans ce petit cercle privilégié où j’ai passé un L2 de Droit. En troisième année, je me suis retrouvé à Paris, où j’ai subi de plein fouet le choc culturel (auquel j’avais échappé à mon retour de mon année PIE). J’ai raté ma troisième année. J’ai senti le besoin de changer d’espace et d’orientation : j’ai opté pour une école de commerce à Montpellier, école dont je suis sorti diplômé, mais conscient que les métiers du commerce n’étaient pas faits pour moi.

3.14 — Tu t’es donc retrouvé à 23-24 ans, à te poser la question de savoir ce que tu voulais faire ?
M.A. — On a tous, plus ou moins, un passage comme cela dans ses études, mais c’est vrai que pour moi il arrivait relativement tard. J’ai donc travaillé pendant six mois pour Europe Assistance, en profitant de mes connaissances linguistiques, et j’ai réfléchi en parallèle à cette idée de travailler pour une cause qui me paraissait plus noble, plus grande et plus collective. C’est ainsi que j’ai opté pour l’idée d’un engagement professionnel pour l’État et que je me suis naturellement intéressé aux métiers de la fonction publique. J’avais de grands idéaux. Je suis reparti dans un cycle d’études supérieures : Master d’histoire puis IEP de Lyon, en vue de préparer les concours administratifs. J’avais déjà en tête l’idée de présenter les concours du Quai d’Orsay, mais ce Graal me paraissait quasi inaccessible. J’ai choisi de me présenter à l’IRA de Lyon (Institut Régional Administratif), une école interministérielle qui permettait d’intégrer les ministères. J’ai réussi ce concours et, au terme de mon année de formation, je suis sorti en très bonne position et j’ai pu intégrer l’unique poste libre au Quai d’Orsay.

3.14 — Ton « profil » international semblait te destiner à cette voie ?
M.A. — Oui, je sentais depuis longtemps et au vu de mon parcours, que là était mon chemin. J’avais l’appétence…, mais ce n’était pas une condition suffisante pour concrétiser mon projet. Il fallait aussi la compétence… et il a aussi fallu que je saisisse, quand elle s’est présentée, l’opportunité de m’engouffrer dans cette voie. Tout cela prend parfois du temps.

3.14 — En quoi consiste ton activité ?
M.A. — J’ai commencé en tant que « coordinateur » financier : j’interrogeais les différents services sur leurs besoins et je participais à l’arbitrage financier : un travail transversal qui demandait d’être dans la négociation permanente. Aujourd’hui, mon travail consiste à suivre la situation politique de la Grèce et de la Turquie et à compiler tous les éléments pour préparer toute intervention d’une haute personnalité sur le sujet (chef de l’état, ministre, secrétaire d’état…). Je suis ce qu’on appelle un « rédacteur » : je contribue à préparer les entretiens, je mets en place les éléments de langage quant à la position de la France. Quand on connaît l’état actuel des relations diplomatiques avec la Turquie, on peut imaginer que c’est assez complexe, pour ne pas dire ardu.

De par mon activité professionnelle, je suis amené à penser à mon séjour aux USA quasi quotidiennement. Mais cela va bien au-delà ­­: cette année à l’étranger est un chapitre central et indélébile de ma vie.

3.14 — Qu’est-ce que tu apprécies dans ce travail ?
M.A. — Je suis heureux d’avoir réussi à atteindre cet objectif que j’avais de porter la politique publique : c’est tout simplement passionnant. Et l’univers que je côtoie l’est tout autant. Je croise des gens qui ont des parcours incroyables : expériences internationales, connaissances, maîtrise linguistique…

3.14 — Comment vois-tu la suite ?
M.A. — Je fais ma carrière dans cette belle maison et je sais que j’aurai des opportunités professionnelles de travailler et de vivre à l’étranger.

3.14 — Parlons de la relation entre ton travail et ton année PIE ? J’imagine que tu fais un lien entre les deux ?
M.A. — Cette année m’a donné de la légitimité. Je disais tout à l’heure qu’il fallait, pour occuper un poste au Quai d’Orsay, faire preuve d’une grande faculté d’adaptation et de gestion de la dimension interculturelle, et, en parallèle, avoir des compétences. Je pensais entre autres aux compétences linguistiques. Il est clair que mon année à l’étranger m’a enrichi dans ces trois domaines précis. Je sens donc que je suis à ma place.
J’ajoute une chose sur la question de la langue : le fait d’avoir appris l’anglais à l’adolescence et en famille me paraît essentiel : je sais que grâce à ce contexte, mes bases sont solides et que mon anglais est fluide. À la place qui est la mienne, c’est indispensable, car ici tout le monde est polyglotte et possède des compétences assez pointues dans des langues parfois très « exotiques ».
De par mon activité professionnelle, je suis donc amené à penser à mon année aux USA quasi quotidiennement. Mais l’apport de ce séjour dépasse tout cela ­­: cette année à l’étranger est un chapitre central et indélébile de ma vie. Je suis persuadé aujourd’hui que quelqu’un qui chercherait à me connaître en occultant cette page de mon existence passerait totalement à côté du « sujet ». De par l’inconnu qu’elle véhicule et qui la sous-tend, cette expérience est incomparable.