Une histoire d’insertion

Chloé Simeha, aujourd’hui directrice de Croix-Rouge insertion, est partie une année scolaire avec PIE, il y a tout juste 20 ans. Le retour sur cette période du passé nous permet de tisser un lien avec son parcours professionnel, et de découvrir que son aventure de 2002 l’a mise en prise très tôt avec la notion globale d’insertion, laquelle est le cœur même de son activité d’aujourd’hui.

Une histoire d'insertion -Chloe participante PIE En images : Chloé d’hier et d’aujourd’hui (2002/2022)

Pourquoi je suis partie un an avec PIE
L’envie de prendre le large. C’était ma motivation première. J’avais besoin de changement, de nouveauté. J’avais vu dans le journal régional (Le Bien Public) une info sur une porte-ouverte organisée par PIE. Je m’y suis rendue et quand je suis rentrée chez moi, j’étais décidée à partir. La dimension américaine de l’aventure m’a séduite aussi, tout comme le fait que j’étais très portée sur l’anglais. Quelque temps plus tard Catherine Bernardis (déléguée PIE – NDLR) est venue me voir pour prendre contact avec moi et mes parents et voir si j’étais vraiment prête à partir ! J’avais 16 ans. Mes parents étaient assez déstabilisés par ma décision je pense, mais ils ne me l’ont pas trop fait sentir : au final, ils ont vraiment accompagné mon projet.

Je pense que cette capacité à intégrer des changement brusques et majeurs a impacté mon parcours par la suite.

Mon année PIE en trois mots
LA PRISE D’AUTONOMIE — Je suis passée de jeune ado vivant chez ses parents, dans son cocon, à soeur aînée, dans une famille d’accueil, avec trois enfants plus jeunes. J’ai été accueillie avec bienveillance et attention par des parents d’accueil qui me faisaient parfaitement confiance et qui m’ont tout de suite traitée en adulte. Dans le cadre de cette aventure, l’éloignement de ses proches accélère forcément très sérieusement la prise d’indépendance.
L’ADAPTATION — Je vivais en centre-ville à Dijon et j’ai été catapultée dans une banlieue américaine. Il m’a fallu prendre mes marques dans la “High School” —dont le fonctionnement était bien différent du lycée français— dans ma famille aussi … un peu partout en fait. Je pense que cette capacité à intégrer des changement brusques et majeurs a impacté mon parcours par la suite.
LE PARTAGE — C’est vrai pour ma famille d’accueil bien évidemment et aussi pour toute la bande de copains que j’ai eue et avec qui j’ai nourri des relations fortes. J’ai une amie de l’époque avec qui je suis toujours restée extrêmement proche : on se revoit régulièrement. Le lien est bien plus distendu avec les autres, mais je garde tout de même des contacts. De toute façon, toutes ces rencontres et ces moments partagés (et qui ont particulièrement de force à l’adolescence) ont existé et sont gravés en nous. Je crois que la durée de l’expérience a ceci de particulier que, d’un côté elle vous laisse le temps d’engager de vraies relations, et de l’autre —parce qu’on sait qu’on va repartir—, vous pousse à vous engager vite et à profiter de tout ce qui se présente.

 Un mot sur la réintégration au retour
Le retour a été plus difficile pour moi que le séjour en lui-même. Quand je disais que j’avais envie de nouveauté, de changement, je faisais surtout référence à moi-même. J’avais envie d’être, comment dire… AUTREMENT ! J’avais besoin de m’exprimer différemment, d’effacer les a priori, de modifier mon mode de relation. En fait, en partant, j’ai un peu remis les compteurs à zéro ; or en rentrant, c’est l’inverse qui s’est passé. Quand on rentre, on revient forcément un peu en arrière… et c’est assez désagréable. Comme l’adolescence est par essence une période de changement et que le séjour en est un accélérateur, on revient bien différent de ce qu’on était avant. Mais votre entourage s’attend à vous retrouver identique. Se ré-acclimater aux attentes et aux habitudes est donc difficile : il nous faut réapprendre à nous connaître.

Une anecdote sur mon séjour.
Je pense à la soirée organisée par mes proches au moment de quitter les USA. C’était une énorme fête (du monde, des ballons partout…), un événement, à la fois représentatif de la culture américaine et de ses excès, et très touchant. Voir tout ce monde réuni pour moi m’a marquée, et dans le même temps je réalise que je n’ai quasiment jamais revu aucun de ceux qui étaient présents ce jour-là. C’est assez typique des États-Unis : on peut nourrir des relations intenses et couper les ponts ensuite. Ce qui compte c’est l’intensité de l’instant.

On revient bien différent de ce qu’on était avant. Mais votre entourage s’attend à vous retrouver identique. Se ré-acclimater aux attentes et aux habitudes est donc difficile : il nous faut réapprendre à nous connaître.

Études : Parcours depuis le séjour
En revenant, j’ai fait une terminale. J’ai eu mon bac avec… disons… de très bonnes notes (notamment en anglais !), et j’ai pu de ce fait intégrer Sciences-Po Paris. Comme j’étais restée très attachée à la dimension internationale, j’ai fait mon premier cycle en spécialité Langues d’Europe centrale et orientales. J’ai appris le tchèque. Je suis partie un an à Prague en stage. À la fin de mon Master, j’ai eu envie de travailler en entreprise. Je viens d’un monde de profs et cette dimension nouvelle m’attirait. Je suis entrée au sein du groupe SUEZ : j’ai commencé sur un poste de chargée de missions aux affaires européennes (en charge d’analyser les évolutions de la réglementation en termes d’environnement). Je suis passée ensuite sur un poste opérationnel —c’était nouveau pour moi—, avec un métier de terrain au cœur de la gestion de l’eau potable, pour retourner enfin au siège à Paris, en tant que responsable des affaires européennes et internationales (mon dernier poste chez SUEZ).

Travail actuel
À l’occasion de mon congé maternité, il y a 5 ans, j’ai pris du recul et j’ai eu envie de me rapprocher de mes valeurs sociétales. J’ai décidé alors de me reconvertir vers l’économie sociale et solidaire et plus particulièrement vers l’insertion. J’ai eu la chance de pouvoir intégrer la Croix Rouge et de prendre la direction de toute la branche insertion. Il s’agit de la filiale insertion par l’emploi et des activités bénévoles qui relèvent de tous les champs de l’inclusion : soutien psycho-social, orientation, accès aux biens essentiels —aide alimentaire, textile, accès aux droits, FLE, activités solidaires, soutien aux détenus…

C’est un poste assez lourd, non ?
Il y a du travail, oui ! 40 000 bénévoles environ, 14 établissements pour tout ce qui touche à l’insertion professionnelle, avec 800 salariés et l’accompagnement de près de 1 000 personnes par an !

Un poste très politique, n’est-ce pas ?
C’est un poste hybride en fait. Politique c’est vrai, dans le sens où il comporte une forte dimension de représentation et d’institutionnel, mais opérationnel également, car Croix-Rouge insertion engendre une grosse activité économique et une action très axée sur le territoire et sur le social. Cela me correspond aujourd’hui assez bien, dans la mesure où je viens du politique et où je suis devenue au fil des années quelqu’un de terrain.

Pour tout ce qui touche à mon parcours, ma sensibilité, la notion globale de partage et de capacité à aller vers les autres (absolument indispensable pour s’intégrer à l’étranger) est au cœur de mon activité actuelle. C’est plus particulièrement vrai pour tout ce qui touche au travail de terrain. Mon boulot m’amène à m’adapter à des mondes extrêmement variés, avec des savoir-faire et des modes d’action très différents.

Relation à PIE
Au départ, le lien entre, d’un côté, ma formation et mon métier et, de l’autre, PIE, était très puissant et évident, car j’étais vraiment tournée vers l’international. C’est un peu moins vrai aujourd’hui. Mais pour tout ce qui touche à mon parcours, ma sensibilité, la notion globale de partage et de capacité à aller vers les autres —absolument indispensable pour s’intégrer à l’étranger— est au cœur de mon activité actuelle. C’est plus particulièrement vrai pour tout ce qui touche au travail de terrain. Mon boulot m’amène à m’adapter à des mondes extrêmement variés, avec des savoir-faire et des modes d’action très différents.
De façon plus concrète, je suis aujourd’hui connectée à PIE via Catherine (ma déléguée en 2002). Depuis l’année de mon séjour, il y a un truc qui est passé entre nous. On est toujours restées en relation… parfois de loin en loin, c’est vrai… mais au moment de ma reconversion professionnelle, j’ai repris contact avec elle pour échanger… et à cette occasion on a retissé un lien solide. Aujourd’hui Catherine fait même partie du Conseil d’administration de Croix-Rouge insertion (NDLR : Catherine est également membre du CA de PIE).

Le séjour m’a surtout donné une forme de confiance qui m’a permis, à chaque étape de mon parcours, de tenter, d’aller vers l’inconnu sans trop de peur. Je dirais même avec une certaine attirance pour le risque.

Si je n’étais pas partie avec PIE…
J’avais cette envie d’aller vers les sciences politiques. Si je n’étais pas partie, je pense que j’aurais suivi la même voie, mais avec sans doute moins d’aisance et de facilités. Le séjour m’a surtout donné une forme de confiance qui m’a permis, à chaque étape de mon parcours, de tenter, d’aller vers l’inconnu sans trop de peur. Je dirais même avec une certaine attirance pour le risque.