Stress et apprentissage

­L’apprentissage nécessite un contexte émotionnel positif
Entretien avec Gisèle George

Les sciences cognitives nous aident à appréhender les questions liées à l’apprentissage. L’éclairage du docteur Gisèle George sur les notions de stress, de motivation et de confiance en soi, met en relief les résultats de notre sondage et vient valider les préoccupations des adolescents quant à leur parcours scolaire, à leur relation à notre école et à leur désir «d’ailleurs».

Le docteur Gisèle George, pédopsychiatre et psychothérapeute spécialisée en TCC de l’enfant et de l’adolescent, a notamment publié « Ces enfants malades du stress » (Anne Carrière / 2002) » et « La confiance en soi de votre enfant » (Odile Jacob / 2007)

 

3.14 — Quel lien peut-on établir entre le bien-être et l’apprentissage? Que nous disent les sciences cognitives à ce sujet ?
Gisèle George — On apprend mieux dans un contexte émotionnel positif. C’est la donnée de base et elle est fondamentale. Pour qu’une information s’imprime sur la mémoire à long terme, on sait qu’elle doit être liée à un contexte positif ou au contraire à un contexte extrêmement négatif, voire traumatisant. Je donnerai à titre d’exemple, d’un côté Proust qui se remémore la sensation de la Madeleine dans la tasse de thé —car elle est liée au souvenir heureux de sa grand-mère—, et de l’autre le fait que l’on se souvient tous de ce que l’on faisait le 11 septembre.

Entraide — L'école japonaise : une autre approche de la collectivité3.14 —Peut-on apprendre en situation de stress ?
G. G. — Il faut bien séparer la notion de stress de celle de l’angoisse. Le stress est un mécanisme normal et nécessaire qui va activer votre physiologie, votre cognition et votre comportement pour faire face à une situation à laquelle vous ne pouvez pas échapper. C’est une forme d’état d’hyper vigilance. Vous avez, par exemple, besoin d’une certaine dose de stress pour réussir un examen, mais si vous rajoutez de l’angoisse (qui fonctionne sur les mêmes circuits mais qui tient de la rumination négative), vous entrez dans une spirale qui nuit comme on l’a vu à l’apprentissage. C’est le passage de « l’eustress » (réponse positive au stress) au « dystress » (qui est son pendant délétère).

Si les facteurs de stress sont trop intenses et/ou trop quotidiens, le risque est de plonger dans un état de fatigue qui peut être à la fois intellectuel, physique, moral… lequel état conduit à des difficultés de sommeil, de concentration, etc.

3.14 — Comment passe-t-on de l’un à l’autre ?
G. G. — Si les facteurs de stress sont trop intenses et/ou trop quotidiens, le risque est de plonger dans un état de fatigue qui peut être à la fois intellectuel, physique, moral… lequel état conduit à des difficultés de sommeil, de concentration, etc. Il n’y a plus d’adaptation possible: on est soudain dépassé, « overbooké ». La «boule au ventre» dont vous parlez dans votre enquête, est un des résultats de ce dépassement.

3.14 — Qu’est-ce qui chez un élève peut expliquer ce passage au mauvais stress ?
G. G. — Si le matin, je dois me rendre dans un lycée où la pression est très forte et les règles très rigides, si je sais que je vais me faire disputer, que mes camarades ne vont pas être sympathiques et que je risque même une forme de harcèlement… quand je sais que je vais rester huit heures au sein de cette école… et quand j’ajoute à cela les deux heures de travail à la maison, la multiplication des exams, et le stress des parents et la crainte de l’avenir… on comprend que je fasse un «burn out». Notre école nous soumet à ce genre de surdosage. En tant que médecin, je rencontre régulièrement des adolescents qui, du jour au lendemain, disent stop: certains ne peuvent même plus aller à l’école.

On sait qu’il n’y a pas d’apprentissage sans plaisir : celui qui adore va très bien faire.

3.14 — Peut-on apprendre sans être motivé ?
G. G. — Non. On sait qu’il n’y a pas d’apprentissage sans plaisir et que « celui qui adore » va très bien faire. Mais pour apprendre, un simple contexte favorable et valorisant peut suffire. Cela nous ramène à la notion de contexte émotionnel positif. ­

3.14 — Dans quel sens ?
G. G. — Dans le sens où la valorisation est une forme de motivation. Si l’on pointe sans arrêt les failles de l’élève, il se démotive. Au niveau scolaire, c’est un mal français: une appréciation d’un professeur est bien souvent une litanie de choses qui ne vont pas ; le « Bien » est toujours accompagné d’un « mais » et le « Très bien » est quasiment exclu du langage. De la même façon, tenir compte des appétences des élèves est une source de motivation susceptible de favoriser l’apprentissage. Or dans le schéma français on oriente et on sélectionne par la négative: celui qui n’est pas bon en maths, étudiera le français, s’il n’est pas bon en français les langues, et s’il n’est bon ni en maths, ni en français, ni en économie, ni en langues, on le sortira de la « voie royale » qu’est la filière générale pour lui faire étudier une spécialité dénigrée!

3.14 — Pour résumer, on peut dire qu’on lance à celui qui étudie l’anglais le message qu’il est un matheux raté ?
G. G. — Cette façon de penser est anti-pédagogique au possible car totalement dévalorisante. En ce sens, la nouvelle réforme du bac, si elle pouvait être appliquée correctement, serait profitable. Que nous disent les sciences cognitives du manque de confiance en soi ? La confiance en soi est un sentiment: le sentiment que je peux affronter l’obstacle. Elle est autrement dit l’antidote du stress. Elle met en jeu des mécanismes d’analyse et d’évaluation (de ses compétences, du danger auquel on a à faire face et de ses conséquences, des soutiens qui nous entourent). Ce sentiment nous amène à surmonter la difficulté avec les forces nécessaires. C’est pour cela que sans confiance en soi, on ne se lance pas, on ne fait rien. Concrètement, pour en revenir à la notion d’apprentissage, il est clair que si le professeur ne croit pas en l’élève, l’élève ne peut pas croire en lui, ne peut pas surmonter le stress : il ne peut donc pas avancer.

La “confiance en soi” est la réponse aidante au stress : son absence paralyse.”

3.14 — Celui qui apprend tire donc sa confiance en lui de la confiance de l’autre ?
G. G. — Nécessairement. Prenons un exemple: un enfant est programmé pour se mettre debout, mais c’est grâce au sentiment de confiance qu’il peut se lancer. Une fois qu’il y parvient, il valide la stratégie qu’il a mise en place grâce à cette confiance : c’est ce qu’on appelle l’« estime de soi ». Mais tout tient au message qu’il a reçu au départ : « Tu peux le faire, tu es capable ! » Ce sont ces messages (qui peuvent passer par les mots, le regard, les attitudes)… que l’école française ne renvoie pas —ou pas assez— aux élèves. Elle agit même régulièrement dans le sens inverse. Il est courant, par exemple, que les professeurs convoquent les parents pour leur énoncer tout ce qui ne va pas avec leur enfant et souligner son manque de compétences. Les parents perdent aussitôt confiance, et ce manque de confiance va aussitôt rebondir sur leur propre enfant. Ce dernier se dit tout naturellement : « Si tout le monde pense que je suis nul ou que je ne vais pas y arriver, je n’ai aucune raison de ne pas le croire. »

Le bien-être ne dépend pas que des résultats académiques : il intègre le sport (et donc le corps), la pratique artistique, la vie de famille… et donc l’équilibre général.

3.14 — Dans ce cas de figure, on entre dans ce que vous avez défini comme un « contexte émotionnel négatif » ?
G. G. — Oui. La boucle est bouclée, mais de façon vicieuse, car on ouvre alors la porte à un stress maximum. Dans la mesure où la « confiance en soi » est la réponse aidante au stress, son absence paralyse.

3.14 — Comment expliquez-vous que les jeunes qui sont partis un an dans une autre école (dans un lycée à l’étranger) affirment, à plus de 60 %, qu’ils sont revenus plus confiants et plus motivés ?
G. G. — Parce qu’ils changent de système: ils se trouvent généralement dans des écoles qui travaillent plus sur les émotions positives et sur cette « confiance en soi ». Les adolescents se délestent alors de leur ancienne peau et, forts de la confiance acquise, développent les compétences qu’on leur avait dit ne pas avoir. Dans cette nouvelle configuration, ils réalisent bien souvent que le bien-être ne dépend pas que des résultats académiques, mais qu’il intègre le sport —et donc le corps—, la pratique artistique, la vie de famille… et donc l’équilibre général. Ils prennent du même coup conscience de leur personnalité propre.

Le bien-être est un contexte pour vivre pleinement et non “survivre”.

3.14 — …Et comme ils sont fiers de ce qu’ils ont accompli en partant, la confiance est décuplée.
G. G. — Tout à fait. Vous avez arrosé les racines et vous avez ajouté de l’engrais : il est donc logique que la plante se développe. Il faut comprendre le bien-être comme un contexte pour vivre pleinement et non « survivre ».

 

Cet article a été publié dans le journal Trois-Quatorze n°60 dans le cadre du dossier spécial sur le “Bien être et bien vivre à l’école”